Fracture (La)

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Stacey Haney, infirmière divorcée mère de deux enfants, a du mal à vivre décemment entre son travail qui lui mange une grande partie de son temps, les remboursements de l’emprunt pour sa ferme et l’élevage de ses animaux. Elle rêve de retaper cet endroit, berceau de sa famille, et d’assurer un avenir décent à son fils et à sa fille, mais son salaire ne suffit pas. C’est aussi une idéaliste, profondément américaine, qui rejette l’envoi de jeunes en Irak et la dépendance des USA à des fournisseurs d’énergie. Toute la région est sinistrée après des années d’exploitation du charbon, mais il reste des richesses dans le sous-sol. Alors, comme beaucoup de ses voisins, Stacey finit par céder aux sirènes de Range Resources, une grosse entreprise leader dans l’extraction du gaz par fracturation hydraulique. Persuadée qu’elle fait le bon choix, elle décide de signer un bail pour louer ses terres avec la promesse de revenus substantiels. Elle ignore qu’elle vient de mettre la main dans un engrenage terrible. Nous sommes fin 2008. C’est le début d’un combat qui va durer près de dix ans…

 

Il existe des romans coup de poing où chaque page fait éprouver des sentiments allant de la nausée à la colère. Celui-ci en est un. Journaliste d’investigation, l’auteure, Eliza Griswold, a mené une enquête minutieuse durant sept ans pour montrer l’envers du décor de l’Eldorado énergétique américain. Son travail a d’ailleurs été couronné par le prestigieux prix Pulitzer. L’envers du décor, c’est ce que vont subir Stacey et ses enfants, mais aussi ses voisins : lent empoisonnement sanguin, maladie, mort de nombreux animaux de ferme, pollution de l’eau potable devenue impropre à la consommation… En face, la société oppose une fin de non-recevoir, réfute l’idée d’une pollution due aux techniques d’extraction, parvient à acheter les riverains en participant aux nombreuses fêtes locales mais aussi en donnant aux bonnes oeuvres. Le gouvernement est attentiste, les diverses agences de protection de l’environnement semblent faire le jeu des pollueurs… En lisant ce livre, on ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec la situation actuelle où Donald Trump a fait le choix de l’économie plutôt que la santé, laissant filer le nombre de décès dus au coronavirus. Stacey est la victime de l’indépendance jusqu’au-boutiste des USA, et peu importe le prix. Il faudra des années à la jeune femme pour accepter idée d’un procès, pour le mener avec l’aide de deux avocats seuls contre tous puisqu’ils osent s’attaquer à une entreprise visant à « enrichir la région »… Avec, au final, beaucoup de fatigue et de larmes pour pas grand chose. La compensation de misère. Certaines choses auront bougé, d’autres non. Ce qui est terrible, c’est de voir à quel point Stacey se heurte à des murs  pour demander simplement réparation, mais on va jusqu’à lui refuser finalement ce droit de reconnaître que ses enfants sont malades. Au bout de toutes ces années finalement, en janvier 2018, un accord entre Stacey Haney et Range Resources sera passé. Une clause lui interdisant de divulguer le montant de la transaction, nous ne saurons pas ce qu’elle a pu toucher, mais à lire entre les lignes on comprend aisément que c’est bien peu payé en comparaison des souffrances endurées par la famille…

Il n’est nul besoin d’être un écologiste convaincu pour éprouver de l’empathie pour Stacey et sa famille, mais aussi pour refuser l’idée d’une exploitation du gaz de schiste dans ces conditions.  En refermant ce livre, on ne peut que se féliciter de la décision de nombreux pays d’avoir refusé de poursuivre plus loin leur réflexion sur l’exploitation du gaz de schiste. Reste à espérer que cette décision ne sera pas remise en cause de sitôt…

Je remercie les éditions Globe pour m’avoir permis de découvrir ce livre essentiel.

 

Eliza Griswold - La fracture - Editions Globe - mars 2020, 22€

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