Ile des femmes de la mer (L')

Auteur / Scénariste: 
Traducteur: 

Jeju, petite île de la Corée du Sud. Cette île est le domaine des Haenyo, les femmes plongeuses qui se sont imposées au cours des siècles comme les véritables chefs de société matriarcale. La cause initiale étant qu’elles sont moins taxées que les hommes et que leur métier est considéré comme étant le bas de l’échelle. Ici, la plongée est une affaire de famille, on espère une fille pour lui apprendre à récolter les produits de la mer, et un fils pour étudier et s’occuper des enfants à la maison.

C’est dans ce contexte que l’auteure nous narre l’histoire de deux femmes, Young-sook et Mi-ja, élevées ensemble comme deux sœurs, sur une période qui va s’étendre de 1938 à nos jours. Alors que la première est profondément ancrée dans les traditions de l’île, la seconde, considérée comme une « fille de collaborateur » car son père a travaillé pour les Japonais, aspire à une autre vie. Elles vont grandir, apprendre à pêcher, connaître les drames familiaux. L’espérance de vie des Haenyo n’est pas des meilleures et les accidents de plongée sont fréquents. C’est ainsi que Young-sook perd plusieurs personnes proches. Elles vont aussi connaître les affres de l’envahisseur nippon, ses exactions, la guerre, la bombe atomique et la capitulation du Japon, la séparation de la Corée en deux et la brutalité de la dictature coréenne sous l’oeil impavide des Etats-Unis. Le point culminant est bien sûr le massacre de Bukchon, en fait le soulèvement de Jeju contre les autorités et qui se terminera par un effroyable bain de sang. Et cette incroyable force de caractère des femmes plongeuses, toujours se relever et repartir, honorer les morts et penser aux vivants.

Au delà de l’aspect purement romanesque, ce sont les recherches qu’a effectuées Lisa See qui rendent dès le début l’histoire aussi vivante. Le lecteur y apprend les conditions de vie rudimentaires de ces femmes, leurs traditions, leurs joies simples. Les mariages arrangés entre les familles dès l’âge de 16 ans à peine, dans l’espoir de voir naître rapidement de futures plongeuses. Force est de constater que l’auteure, américaine bien que d’origine chinoise, dresse un portrait sans concession de son pays d’adoption, et qui prouve une nouvelle fois si besoin en était, que la patrie de l’Oncle Sam n’a jamais été capable d’instaurer un régime politique durable et égalitaire partout où elle a posé les pieds.

Il y a de cela deux ans, j’avais eu entre les mains Filles de la mer, écrit par Mary Lynn Bracht. J’ai eu un moment la crainte que les deux histoires se télescopent, mais il n’en est rien, un même thème mais deux récits très différents. Avec L'île des femmes de la mer, Lisa See a réussi un grand roman poignant, empreint d’aventure et de poésie, en nous dévoilant sans artifices la vie de ces plongeuses du bout du monde.

Je remercie les Editions Pygmalion pour leur confiance

L’île des femmes de la mer - Lisa See - Editions Pygmalion - Juin 2020, 20,90 €

Type: