Créateurs et chimères

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Anthologie réalisée et présentée par Serge Lehman

Ecrivons-le d’entrée : ce recueil est absolument indispensable dans la bibliothèque de quiconque prétend avoir la moindre compétence de lecteur de littérature française post-hugolienne. Je veux dire que sont autorisés à l’ignorer ceux qui prétendent avec toute la mauvaise foi nécessaire qu’aucun livre français digne de lecture n’est paru après 1885, ceux qui veulent continuer à prétendre avec toute la mauvaise foi nécessaire (et il en faut beaucoup) que la science-fiction n’est pas de la littérature, ou ceux qui prétendent avec une mauvaise foi qui restait excusable avant la parution de cette anthologie que la science-fiction est une invention américaine.


L’introduction de Serge Lehman est d’ailleurs un texte qu’il convient de diffuser le plus largement possible, qui remet les idées en place sur les erreurs courantes diffusées par les menteurs (volontaires ou non) ci-dessus fustigés. Si c’était sous un autre nom, celui de merveilleux scientifique, le courant apparu dans la littérature européenne (le livre ne rappelle que les auteurs français et cite quelques Anglais, mais le courant était plus international encore) bien avant Gernsback, et qui a connu une théorisation plus complète sous la plume de Maurice Renard dès 1912, ne différait pratiquement pas de celui qu’allaient développer les pulps américains. Que ce courant ait été sinon tué, du moins mis en sommeil, par la guerre, et que sa reprise se soit faite ensuite sous l’étendard de la science-fiction, alors même qu’une part des auteurs qui ont rejoint la nouvelle bannière avaient commencé leur carrière sous la bannière renardienne (je classerai ainsi sans hésitation René Barjavel, B.R. Bruss, Maurice Limat), ne lui ôte ni importance, ni influence réelle sur la SF française.

Le choix des œuvres publiées peut être discuté ; Lehman rappelle à quel point ce choix fut difficile ; d’autres œuvres auraient peut-être dû apparaître aussi, et ont été écartées pour des raisons diverses. Dans le cas du Voyageur imprudent et de Ravage, facilement disponibles ailleurs et certainement indisponibles pour cette édition, j’aurais personnellement intercalé une note, car leur importance dans l’histoire de l’anticipation française est aussi importante que celle des œuvres de Rosny Ainé. Quelqu’un m’a signalé une autre absence déplorable (et je souscris à cette opinion), celle de Théo Varlet. Il y a d’autres cas où mon choix personnel aurait pu différer de celui de Serge Lehman, en préférant parfois un texte plus court et moins facilement disponible à un texte publié (pour Maurice Renard, pour Bruss en particulier), mais peut-être n’était-ce pas possible. Quoi qu’il en soit le résultat est très satisfaisant pour le connaisseur qui retrouve des oeuvres plus ou moins essentielles ; pour l’amateur, pour le néophyte, ils découvriront des références de base. Quant au lecteur honnête qui, ne connaissant pas la science-fiction, veut se faire une opinion sur ce qu’elle recouvre et sur son appartenance incontestable à la tradition littéraire française, il y trouvera une part substantielle du dossier et, s’il a lu ce volume, ne pourra plus prétendre sans mentir que la SF n’est pas une part de la littérature.

Bref ce volume est indispensable à tous. Le détailler plus serait le gâcher, je m’en abstiendrai donc.

Serge Lehman, Créateurs et Chimères, Anthologie, Omnibus, 1250 p.

Georges Bormand

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