Junky

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Résumé

« Junky », signé sous le pseudonyme de William Lee, narre les aventures d’un camé américain au début des années 50, ses tentatives de désintoxication, les larcins qu’il commet pour se procurer l’argent des doses et sa fuite au Mexique. Roman controversé et surtout saccagé par ses diverses aventures éditoriales, il ressort enfin dans sa version originelle, agrémenté d’une préface éclairante et de nombreux appendices.

 

L’auteur

William S. Burroughs, né à Saint-Louis en 1914 et mort à Lawrence en 1997, est connu pour avoir fait partie de ce qu’on appela la Beat generation, en compagnie entre autres de Jack Kerouac et Allen Ginsberg.

Il étudia la médecine à Vienne, avant de décrocher une licence de littérature anglaise à Harvard en 1936.

En 1944, alors qu’il travaillait comme détective privé, il rencontra sa femme Edie Parker ainsi que Jack Kerouac et il plongea dans l’héroïne, la morphine et toute la pharmacopée de l’époque. Il eut un fils avec Edie Parker en 1947, mais il tua accidentellement sa femme en 1951 lorsque, ivre, il tenta de reproduire l’exploit de Guillaume Tell avec un pistolet. Inculpé d’homicide involontaire, il sortit rapidement (!) de prison et poursuivit une vie faite de drogue et d’errance. Il voyagea en Amérique du Sud et en Afrique, où il sombra dans la déchéance la plus totale. Il écrivit à cette période son roman le plus célèbre, Le festin nu (adapté au cinéma par David Cronenberg), dont il confessa ne pas se souvenir en avoir écrit une seule ligne, tant il était défoncé lors de sa rédaction. Le livre assura sa notoriété par le scandale qui suivit et les nombreux procès pour obscénité qu’il engendra.

Burroughs s’installa ensuite avec son compagnon James Grauerholz, se concentra sur la peinture et entama une cure de désintoxication en 1980.

Figure majeure de la culture pop, il a collaboré avec le réalisateur Gus Van Sant (dans le superbe Drugstore cowboy, avec Dustin Hofmann), Tom Waits (pour la pièce de théâtre Black rider), les groupes de musique Sonic Youth, Nirvana, R.E.M. ou Ministry.

Au niveau littéraire, ses techniques de déconstruction (cut-up) avaient pour ambition d’égaler la révolution que fut l’art abstrait pour la peinture. Il consacra les dernières années de sa vie à la peinture, où il expérimenta là aussi de nombreuses techniques et exposa dans plusieurs galeries.

Il fut nommé chevalier des Arts et des Lettres en 1984.

 

Mon avis

Junky, le premier roman de William S. Burroughs, aurait dû s’appeler Junk. C’était le souhait de son auteur, qui n’eut jamais vraiment la main sur les décisions prises à l’encontre de son manuscrit. Publié pour la première fois en 1952 sous le titre Junkie par Ace Books, une maison d’édition spécialisée dans les formats courts et les romans de gare, le roman fut amputé de plusieurs passages, expurgé de nombreuses expressions d’argot et annoté par crainte de s’attirer les foudres d’une censure sans pitié à l’époque. Il est donc republié ici en édition définitive (mais sans modifier le titre Junky de 1977, devenu intouchable du fait de sa notoriété), c’est-à-dire enfin respectueuse du manuscrit original, enrichi d’une préface qui nous éclaire sur la genèse du roman, le contexte dans lequel il fut écrit et la vie de son auteur, et agrémenté de la préface de la réédition de 1977 écrite par Allen Ginsberg (qui se fit l’agent de Burroughs en 1950) et de plusieurs lettres entre Burroughs, Ginsberg et les éditeurs.

Le texte en lui-même est relativement court et se lit d’une traite. C’est le récit clinique et froid du quotidien pathétique de camés dans les USA des années 50. On suit les déambulations de William Lee (l’auteur a utilisé le nom de naissance de sa mère) dans sa quête éperdue d’argent et d’ordonnances médicales permettant d’acheter cette morphine dont les shoots deviennent son unique objectif de vie.

L’auteur n’explique pas plus à lui-même qu’au lecteur pourquoi il se came. Il ne s’attache qu’à décrire l’obsession de ces paumés et escrocs de bas étage dans leur quête quotidienne des trois doses nécessaires à leur survie, usant de l’argot de l’époque pour tisser un récit qui s’apparente par moments à un documentaire (et offre au passage au lecteur de l’époque quelques recettes pour se faire délivrer des ordonnances de stupéfiants).

Ce qui surprend le plus à la lecture de ce roman, c’est le style narratif, d’une limpidité et d’une simplicité à des années-lumière de la mosaïque totalement déstructurée du Festin nu.

Les ajouts à cette nouvelle édition permettent de replacer le récit dans son contexte, à savoir un pays puritain, réactionnaire et paranoïaque dominé par le maccarthysme, où l’usage de marijuana pouvait vous conduire en prison pour 20 ans.

« Quand je m’étais tiré des Etats-Unis, la came était déjà un sujet brûlant. Les premiers symptômes de l’hystérie générale apparaissaient clairement. L’État de Louisiane avait voté une loi faisant de tout intoxiqué un criminel. »

Le fait est que l’Homme a toujours cherché à se droguer, et certains passages ne manqueront d’ailleurs pas d’étonner les jeunes générations. Il est quelque peu ironique de constater que la codéine vit aujourd’hui un retour en force chez des jeunes gens élevés au milieu des drogues de synthèse, où jamais les molécules pour se foutre la cervelle en l’air n’ont semblé aussi nombreuses. Mais ce récit ne donne pas pour autant envie de se droguer, et c’est même tout l’inverse. La réalité crue et sans fard du quotidien d’un camé n’est qu’une longue agonie.

« Doolie malade n’était pas beau à voir. Sa personnalité disparaissait, dissoute par ses cellules affamées de came. Viscères et cellules, galvanisées par une répugnante activité d’insecte, semblaient sur le point de crever leur enveloppe. Son visage était flou, méconnaissable, en même temps que ratatiné et tumescent. »

En conclusion, Junky est bien plus accessible que Le festin nu, pourtant davantage connu, et constitue une entrée en matière idéale dans l’univers de William S. Burroughs et des auteurs de la beat generation, et ce bien qu’il n’en soit pas vraiment caractéristique. Pour ceux qui sont déjà familiarisés avec ce mouvement, cette édition est tout simplement indispensable.

 

Junky de William S. Burroughs. Gallimard Folio

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