Je viendrai ce soir à neuf heures...

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Comme toujours chez Willy Deweert, l'action démarre en trombe : un auteur pressenti par tous pour remporter le Prix Goncourt se récuse la veille du scrutin et... disparaît. Que s'est-il passé ? Une journaliste passionnée mène l'enquête. Notre écrivain, Fabrice Monclar, a filé au Sénégal, où il mène une nouvelle vie d'instituteur sous le nom de Jacques Berlière. Pourquoi ? C'est ce que va tenter de découvrir la journaliste, Julia Grangier, qui s'envole pour Dakar.

 

Telle est la trame de base du nouveau roman de Deweert. A l’encontre de certains romans précédents, Deweert ne s'enlise pas. Il va de l'avant, tout le temps, sans s'arrêter un instant. Son livre n'est pas découpé en chapitres, mais suit l'action par date, de décembre 2006 à février 2007. Le lieu est un Sénégal, non de fantaisie, mais concret et qui pourrait exister. Arrivée à apprivoiser le farouche Monclar/Berlière, Julia parvient à lui soutirer ses souvenirs, sinon ses mémoires. L'homme, petit à petit, se dévoile et se raconte, à elle, mais aussi à Oulimata, secrétaire du directeur de son école, belle figure d’Africaine libérée. Entre ces trois s'enclenche un dialogue magnifique, qui forme l'ossature du livre. Fabrice Monclar oscille sans cesse entre sa vie d'antan - avant le Prix Goncourt - et ses réalisations en terre sénégalaise. Nous suivons ainsi la trajectoire hésitante du jeune écrivain prometteur mais souvent veule et prêt à toutes les concessions, ses magouilles, ses liens avec sa belle-famille chrétienne et intégriste (et la tante hippie), sa tentation suicidaire, la mort de sa femme, le petit monde parisien : il affronte un vide personnel de plus en plus effrayant. Et, d'autre part, Monclar, parle de la réalité africaine. Il plonge dans d'autres magouilles, celles de la corruption et de la mafia, qui pourrit tout ce qu'elle touche. Petit à petit, Oulimata devient personnage central, objet de convoitises de toutes sortes. Le portrait d'Ismaïl Diop, le fourbe et libidineux chef de la mafia locale, est très bien brossé, tout comme celui de sa maîtresse, la cruelle Irina Amasova, qui connaîtra une surprenante rédemption grâce à une rencontre improbable avec Berlière.

 

Là réside la réussite du roman. Deweert, pour une fois, ne juxtapose pas une action débridée à une justification mystico-religieuse. Il imbrique les deux, totalement, mais sans en parler. Tout est sous-jacent, tout est dans le non-dit. Les réactions de Julia et d'Oulimata aux révélations de Fabrice Monclar sont presque plus importantes que celles-ci mêmes. Ce faisceau émotionnel devient intrigue, trame autour de laquelle se tisse un sentiment d'imperfection humaine, d'impuissance à aller plus loin, au-delà des idées entrevues et envisagées. La fin sera violente mais en même temps, belle. Pourquoi a-t-il refusé le Prix Goncourt, finalement ? Et qui viendra donc à neuf heures ? On le saura à la fin, bien sûr. Mais l'essentiel n'est pas là. L'essentiel est cette vie aussi familière qu'éloignée de la nôtre, celle de Fabrice Monclar. Cette vie torrentielle est une vie de tourments, de trahisons constantes, d'hésitations permanentes, d'élans et d'échecs successifs. N'avons-nous pas tous tant de personnes différentes en nous ? C'est cette confession crue d'une trajectoire humaine hyperréaliste qui fait tout le prix de ce roman sensationnel à plusieurs égards. Deweert la dévoile simplement, dans son style direct : phrases courtes pour des aveux sans fard. Si cheminement spirituel il y a, il reste discret, en filigrane, et ne dérange jamais.

 

L'auteur s'est superbement renouvelé et donne, à mon sens, son roman le plus achevé à ce jour, vraiment, et profondément humain. Grand connaisseur de l'âme, Deweert a livré, avec le double personnage de Fabrice Monclar, une analyse de l'homme sans compromission, terriblement vraie. Tout lecteur se reconnaîtra, un tant soit peu. A lui de voir comment il évoluera. Mais à lui seul, car il en a la force, en lui.

 

Willy Deweert, Je viendrai ce soir à neuf heures..., Éditions Mols, 2014, 287 p., 19,90 euros.

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