Ils se marièrent et il y eut beaucoup de sang

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Je vais vous parler d’un roman sorti il y a près d’un an, en autoédition.

J’avoue que de prime abord je n’ai pas été du tout attirée, à cause du titre. C’est un peu la mode de choisir comme titres des extraits de chansons ou des bouts de phrases, détournées ou non, qui parlent à l’imaginaire collectif. C’est bien évidemment une stratégie marketing astucieuse, puisque le lecteur a déjà l’impression d’être en terrain connu. Sauf que, bien souvent, le produit qui se cache derrière est décevant (pour rester polie).

Après avoir été bernée plusieurs fois, j’ai tendance désormais à fuir à toutes jambes les ouvrages avec un titre de ce genre.

C’est dire si la rencontre était compromise d’entrée de jeu !

Et puis, ô magie des réseaux sociaux, à force de lire les interventions toujours intelligentes et drôles de l’autrice, Laurine Valenheler,  sur les groupes de lecture facebookiens, j’ai fini par me dire "la demoiselle ne peut pas avoir commis une complète daube si son roman est à la hauteur de ses commentaires" . J’ai sauté le pas.

Bien m’en a pris !

Résumé :

Au cœur de l’hiver 2017, quatre ans après les débats sur le projet de loi « Mariage pour Tous », plusieurs couples d’hommes sont retrouvés morts en petite couronne de Paris. Sur les scènes de crime, la signature marque les esprits : entre les corps des victimes sont retrouvés des triangles de tissu, roses comme le symbole de la persécution des homosexuels sous le IIIème Reich.

Pour l’équipe de Maël Néraudeau et Yohann Folembray, lieutenants à la Section criminelle du SDPJ 94 et partenaires à la ville comme à la scène, le compte à rebours est lancé. Le mot d’ordre est sur toutes les lèvres, y compris celles de la presse : mettre la main sur l’assassin et enrayer la vague de folie meurtrière. Mais face à un criminel aussi obscur qu’imprévisible, les enquêteurs se retrouvent désarmés, et ce malgré l’appui d’un capitaine de la Brigade des crimes sériels de l’OCRVP venu se greffer à la section pour les assister. Le sadisme du meurtrier se révèle alors sans limite lorsque l’affaire prend un virage dramatique pour les deux coéquipiers et amants. Entre les plaies endormies qui se réveillent et la colère qui les déchire, affectant l’équilibre du groupe, le terrain est plus libre que jamais pour le Tueur au Triangle Rose, qui profite de la diversion pour passer à la vitesse supérieure et parachever son acte final…

 

Alors oui, c’est un thriller, un polar, un roman très noir. Mais pas seulement. Oh non ! Ce pavé de 546 pages contient en réalité plusieurs livres en un, plusieurs histoires qui se croisent, s’entrechoquent et se chevauchent. Si l’on prend un peu de recul, pour s’extraire de l’aspect purement policier, on découvre également en filigrane un émouvant pamphlet humaniste, un cri de colère venant au secours des opprimés.

Car Laurine Valenheler signe un livre qui ne se contente pas d’affleurer la surface, en mode "oh la la, l’homophobie c’est vilain" . Elle nous force à contempler la vie quotidienne de couples tellement ordinaires que la haine gratuite dont ils sont l’objet est d’autant plus oppressante. Avec adresse, elle démontre l’absurdité de l’intolérance dont les homos sont l’objet, leur désir justifié d’une existence normale.

Tout en expliquant le cheminement qui peut amener certains à leur vouer cette haine féroce, en montrant au détour d’un passage comment l’embrigadement dès l’enfance amène à des comportements et discours inacceptables.

Cette mécanique de l’hostilité pourrait d’ailleurs être appliquée à n’importe quelle minorité, n’importe quelle différence : noirs, juifs, arabes, obèses, handicapés… Tout ceux qui ont le malheur de ne pas entrer dans cette « norme » dont beaucoup se réclament, sans qu’elle ait une existence tangible et vérifiable. Le processus est le même, les effets sur ceux qui en sont victimes sont identiques.

Évidemment, je ne suis pas naïve, je me doute bien que ceux qui auraient bien besoin d’une transfusion de tolérance ne liront pas ce roman. Les plus extrémistes, ceux qui n’hésitent pas à avoir recours à la violence, ne changeront pas après la lecture d’un thriller.

Je pense surtout à la foule de ceux qui lancent des blagues très limites, sans penser une seconde aux dégâts qu’elles provoquent sur le court, moyen et long terme. Ce roman expose, avec la froideur d’une autopsie, la dévastation engendrée par les petits mots, les attitudes, les sarcasmes… sur des êtres en pleine confusion identitaire ou en construction. Laurine Valenheler ne nous permet pas de détourner le regard en disant "c’est bon, il n’y a rien de grave" . Elle nous oblige à regarder, encore et encore, ce que l’homophobie au quotidien cause comme ravages.

Si une poignée d'"homophobes par habitude" pouvaient réfléchir et changer d’attitude, ce serait déjà ça !

Ils se marièrent et il y eut beaucoup de sang offre de plus une écriture magnifique, à un niveau de langue rare dans le thriller. Toutes les phrases sont travaillées, ciselées, Laurine Valenheler n’hésite pas à tirer le lecteur vers le haut, sans céder à aucune facilité. Son roman n’est pas un pensum ennuyeux pour autant, bien au contraire ! Elle l’a parsemé de petits clins d’oeil geeks permettant des bouffées d’oxygène salutaires.

Pour résumer, voilà un roman très bien écrit, passionnant, militant, émouvant, étonnant, et tout plein d’autres -ant.

Qu’attendez-vous ?

 

Ils se marièrent et il y eut beaucoup de sang par Laurine Valenheler, autoédition

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