Forêt de cristal (La)

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Folio SF réédite La forêt de cristal de J. G. Ballard, grand romancier anglais, décédé en 2009 après une longue carrière dans la SF. Le présent ouvrage illustre la puissance de l’écrivain sans aborder directement ses thèmes chers – cruauté, modernité, perversion, société de consommation. Ici, le lecteur se trouve plongé dans un décor délibérément éloigné de la civilisation et de ses vices, avec quelque infidélité à la névrose urbaine où la hantise ballardienne rôde sans menace cette fois sur les quais d’un port africain ou dans les chambres ensoleillées d’un hôtel.

Ce n’est pas du béton ou des trottoirs qu’il faut redouter le pire car l’intrigue mêle ses racines à ceux des arbres de la jungle toute proche. Ce sont en effet les hommes et leur rapport à une certaine forêt qui intéressent le romancier. Le défi a de quoi laisser admiratif : l’auteur fait véritablement d’une forêt son personnage principal ainsi que l’indique le titre. Gravitent autour d’elle divers protagonistes dont le principal, Sanders, est un médecin, officiant au Cameroun, qui entreprend de retrouver deux amis dont il n’a plus de nouvelles. Ses recherches l’ont mené par voie fluviale à une ville, où il accoste avec quelques passagers qui s’avèreront être comme lui des personnages-clés de l’histoire. Il faut être très attentif, et d’emblée, aux détails semés sur notre route à ses côtés, du pont du bateau à l’embarcadère pour commencer (au fait qu’il soigne des lépreux ou qu’il ait eu une maîtresse autrefois par exemple) et ne pas quitter des yeux le paysage aux descriptions remplies d’indices, comme les portraits purement physiques des hommes et des femmes que croisera notre héros. Dans ces entrelacs se distille habilement toute une trame qui peu à peu enserre ses filets autour du lecteur médusé.

C’est en effet progressivement qu’on fait connaissance avec la forêt en question, que le héros découvre d’abord de loin, attiré par les variations colorées qui l’auréolent. On le suit dans sa façon de l’approcher, d’y pénétrer, de l’explorer et d’en revenir, si toutefois d’un pareil endroit, on revient jamais vraiment, ou alors pour y retourner peut-être.

L’intrigue est donc simple et lumineuse. C’est qu’il n’en faut pas beaucoup à un excellent romancier pour nous hypnotiser : un décor bien choisi, planté avec art et augmenté d’une puissante aura, un héros digne de ce nom, classique, net, viril, une intrigue amoureuse ou deux en pointillés, du dépaysement géographique, mais surtout un style précis et fouillé, excellant à créer du suspense et au rythme moins tourné vers l’action que la montée d’une tension intérieure en écho aux métamorphoses extérieures. Pas de fioritures, d’effets d’esbroufe, de remplissage. Pourtant on s’attarde volontiers sur chaque détail, chaque description, chaque apparition plus merveilleuse que les précédentes sous la plume de J. G. Ballard, traduit par Michel Pagel. Car on lit enfin ce livre pour son esthétisme. L’écriture est élégamment sobre bien que ciselée, juste et efficace comme une taille experte de pierre précieuse dont la beauté – ici l’idée fabuleuse sous-tendant toute l’histoire – se suffit à elle-même si elle jouit d’un éclairage approprié : le talent d’un maître incontestable.

La forêt de cristal de J.G. Ballard, traduction de Michel Pagel, Folio SF, 7,50 euros

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