Fiction n° 20
Printemps 2015.
Ce numéro 20 de Fiction est le premier du collectif éditorial des Indés de l’Imaginaire, et malheureusement aussi le dernier. La suppression des subventions qui permettaient au magazine de vivre avait d’ailleurs poussé les éditeurs à faire appel à une contribution collective, grâce à laquelle cette dernière édition a pu aboutir.
Et c’est heureux, car lire et feuilleter ce numéro est un vrai régal. Le format est celui d’un livre, les pages sont agréables au toucher. Quant au contenu, interviews, articles, portfolios et nouvelles se suivent sans se ressembler, pour notre plus grand plaisir.
Pour commencer, l’entretien croisé de Christopher Priest et Xaxier Mauméjean nous fait naviguer entre souvenirs personnels et visions du paysage de la science-fiction actuelle, avec un aparté sur le steampunk et l’écrivain dans la cité, sans oublier les grandes questions – les mots, le style, les personnages féminins…
Une deuxième interview fait intervenir J.-P. Andrevon et Fabien Clavel, et c’est encore une fois un échange captivant entre ces figures de la SF française.
Dans son article « Swamp Tech », Nicolas Nova nous propose une lecture intéressante du paysage urbain autour de la Nouvelle-Orléans, où monde moderne et ancien se télescopent en un jaillissement incessant d’architectures et d’images dont le sens reste à décoder.
Dans « Civilisations perdues », Alex Nikolavitch nous parle des civilisations disparues et de leur résonance symbolique, qui inspirent nombre de récits de l’Imaginaire.
Julie Proust Tanguy tente de comprendre d’où vient la résistance étrange et persistante qui fait de la science-fiction la brebis galeuse de la littérature dite « blanche », alors que par ailleurs existent de nombreuses passerelles (« Apprivoiser la science-fiction »).
Suit un magnifique portfolio de Sam Van Olffen, dont les photomontages nous font voyager à travers d’extraordinaires villes entre rêve et réalité.
Quant aux nouvelles, il y en a beaucoup, ce qui n’est pas pour me déplaire ! Je les ai lues comme je lis habituellement ce type de format, c’est-à-dire petit à petit, entre deux romans. Comme il y en a un certain nombre, je ne vous parlerai que de celles qui m’ont particulièrement plu, ou surprise.
Georges R.R Martin, qui fait la couverture, est donc bien sûr présent dans ce numéro : les amateurs apprécieront sa nouvelle « Y a pas que les gosses qui ont peur du noir ». Si vous ne connaissez de cet auteur que le populaire « Trône de Fer » ou ses romans de SF, vous serez amusé de découvrir qu’il sait aussi jouer de la parodie.
« Garde du corps » de Karl Bunker est une histoire délicate et nostalgique, qui nous emmène sur une lointaine planète peuplée d’un peuple reptilien, dont les codes d’honneur ne sont pas sans nous rappeler certains codes guerriers extrême-orientaux. « Une très ancienne épée elfique », de Jim Aikin, est un petit bijou, où la cruauté le dispute au mystère dans une ambiance digne d’un Sherlock Holmes. J’ai souri en lisant « Trois feuilles d’Aloès » de Rand B. Lee, qui évoque les relations mouvementées d’une ado rebelle et bagarreuse avec sa mère, à laquelle on propose l’implant d’une puce d’inhibition d’agressivité sur sa fille en échange du droit accordé à celle-ci de poursuivre des études dans l’établissement huppé de la ville.
« Propriétés aliénées » m’a fait passer un excellent moment. Pas de grandiloquence, ici, pour cette rencontre entre créatures venues d’ailleurs et humains, mais une bonne partie de poker et une mémorable couronne sucrée suprême au cherry.
« Fleurs de Lune » de Phil Becker (enfin un auteur francophone !) est une petite merveille aussi. Le récit démarre sous la forme d’une enquête policière dans un contexte un peu obscur, mais on comprend vite que les enjeux ne sont pas là où on les soupçonnait – la chute n’en est que meilleure.
« Se faire Emily » (Dickinson) de Joe Haldeman est aussi une très jolie nouvelle, drôle et troublante à la fois. « Le rivage au bord du monde » d’Eugène Mirabelli nous transporte dans une atmosphère douce comme un crépuscule d’été dans les îles grecques. « Le kami, la jeune fille et la fleur » de Marc Oreggia nous plonge dans l’univers post-apocalyptique de la bombe A – une fillette trouve refuge dans un temple resté miraculeusement debout dans les ruines de Nagasaki et y croise un esprit bienveillant. La fin est poignante.
Du rire, encore, avec « Mon Bionid, mon Bionid douillet » de Pat MacEwen. Imaginez une maison conçue avec vos propres tissus pour éviter toute réaction allergique… Rire encore, avec « La fabrique de fées » de Jeffrey Ford, dans un univers qui plaira aux amateurs de steampunk. Et si vous avez aimé l’humour et la plume de cet auteur, vous aurez le plaisir de le retrouver dans un deuxième récit, tout aussi amusant, quoique dans un univers plus moderne, « La technologie de Pittsburg ».
Vous l’aurez compris, toutes ces nouvelles sont d’un excellent niveau et j’ai énormément aimé ce numéro. Je vous le conseille, si toutefois il reste encore des disponibles.
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