Poètes de l'Imaginaire

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Quoi ? De la poésie de science-fiction ? Des rimes fantastiques ? Des vers de fantasy ? Diantre ! Mais oui, laissez-moi vous expliquer. Il y a quelques temps, sur une liste de discussion, le sujet fut abordé : les littératures de l’Imaginaire seraient-elles propices à la poésie ? Car on peut être grand amateur de poésie et de science-fiction, non ? Voilà un sujet original qui enflamma la liste et les réponses furent nombreuses. Des éons passèrent et voici que Sylvain Fontaine, âme de la discussion, prenant la balle au bond, et préférant l’impair, nous concocta un très gros ouvrage de poésies inspirées de nos genres favoris.

A l’arrivée, l’ouvrage est splendide. Plus de 640 pages emplies de poèmes. Un tour de force à saluer. Une préface fort profonde du professeur Michel Viegnes nous inculque tout d’abord les conflits entre littérature et... paralittérature, ou la ’high culture’ versus la ’popular culture’. Et puis, Sylvain Fontaine se lance. Les poèmes retenus se circonscrivent essentiellement en France et au dix-neuvième siècle. Avec tapis déroulé envers les parnassiens. Eux, leurs prédécesseurs (André Chénier) et leurs successeurs (les symbolistes).

Il est un fait que le Parnasse, école poétique qui souffrit un certain purgatoire, connaît un vif regain d’intérêt actuellement, grâce à la beauté formelle de ses vers et surtout à son sens de l’évocation bien proche du ’sense of wonder’ cher aux amateurs de science-fiction. Son intérêt pour les mythes gréco-romains, les mondes barbares ou les légendes germaniques la rend bien proche de la Fantasy. Fontaine divise son anthologie d’après les genres de l’Imaginaire et l’entame précisément par la Fantasy. Samain, Heredia ou de Régnier, mais aussi Leconte de Lisle, Victor Hugo ou Nerval font ici leur entrée fracassante. Mais également des poètes moins connus comme Sébastien Charles Leconte ou Vinceslas Dupont, auparavant inconnus au bataillon. De la Bible aux épopées gothiques, des nymphes grecques aux féeries chrétiennes, tous les terrains seront arpentés.

Suivent les ’transfictions’, genre insolite cher à Francis Berthelot mais qui fait intégralement partie de l’Imaginaire. Voici Richepin, Cros ou Milosz, mais aussi de Banville ou Armand Silvestre. Les grands ici ne sont pas oubliés et nous retrouvons l’éblouissement baudelairien de L’invitation au voyage ou le toujours étonnant Bâteau ivre de Rimbaud. Louis Bouilhet, le confident de Flaubert, apparaît, avant de nous surprendre in fine du livre. Suit le Fantastique, qui ’décrit le surgissement de l’impensable’. Et nous aurons droit aux poètes frénétiques, aux mystiques, aux bucoliques, même à la fort ’gore’ Une charogne de Baudelaire, bien présent avec La morgue, aussi. Beaucoup de textes de Verhaeren, le grand homme belge.

L’anthologiste termine avec la science-fiction, introduit par La conquête du même Verhaeren, nimbé « d’or, de marbre et de corail ». Il s’agit ici bien sûr, vu l’époque, de merveilleux scientifique et non encore de pure SF. Mais l’on côtoiera un minaret des mondes (Jean Lahor), la comète de 1861 (Louise Ackermann), des hymnes au futur, de bien modernes angoisses, plusieurs fins du monde et même un exode vers l’espace (Creuzé de Lesser). Le recueil conclut par un étonnant poème de Louis Bouilhet, intitulé Les Fossiles, très long sans doute, mais extrêmement impressionnant par sa vision des premiers temps de la terre, de la création aux dinosaures : « Sur l’aride plateau de ce désert immense, les siècles désolés se suivent en silence ».

Entreprise colossale donc que celle de Sylvain Fontaine, qui rajeunit les classiques et les offre à tous les amateurs d’Imaginaire. A parcourir tous ces textes, l’on sort enivré, fasciné. Fasciné par la richesse de nos grands auteurs du passé, passé qui n’avait que faire des frontières entre genres et qui s’exprimait en grandioses évocations, antiques ou futures, bien proches de nos passions contemporaines. Voici donc un recueil admirable, à mettre entre toutes les mains, surtout entre celles de ceux, nombreux sans doute, qui au nom de l’immédiateté de l’actualité efface un peu vite les siècles passés. Ils y liront un intérêt pour les mêmes mondes éblouissants, recherchés jadis comme aujourd’hui. Ils y liront aussi la poésie rimée, qui allie discipline formelle à l’inspiration magique des idées soudainement perçues. Et le parcours libre et impromptu de cette quelque centaine de poèmes fera, à tout lecteur ému, « courir un frisson d’or, de nacre et d’émeraude » (Heredia). Pour mieux se retrouver dans cette jungle poétique, l’anthologiste joint une table par auteurs et un index des thèmes.

Poètes de l’Imaginaire, fantastique, fantasy et science-fiction, anthologie proposée par Sylvain Fontaine, Editions Terre de Brume 2010, 673 p., 28 €.

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Commentaires

Quelle belle critique ! Je suis impatient de me faire offrir ce livre pour Noël. Cordialement.