Elephant Island

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« Il m'a fallu des nuits et des nuits pour aimer l'enfant que je fus ». Lorsque son père meurt en 1917 sur le front belge, Louis est placé dans un pensionnat loin de sa mère et de ses frères et sœurs. À l'ombre d'un conflit qui s'éternise, il rêve d'un bateau pour échapper à ce temple de la discipline et des mauvais traitements. Comment se construire dans un lieu où les enfants sont livrés aux agissements les plus barbares des adultes ? Comment rêver un avenir quand la guerre anéantit l'espoir ? Face à la fragilité des siens et à la violence de l'Histoire, Louis, marqué pour sa vie entière par une profonde entaille, reste au port à contempler ce bateau qui le fascine et qu'il ne parvient pas à prendre. Mais le nom d'Elephant Island va résonner à son oreille et l'arracher à son silence.

 

Je ne suis pas un amateur de littérature « blanche ». Trop souvent, lorsque je prends la peine de m’y plonger, je découvre des textes nombrilistes, écrits par des auteurs certes doués (pour certains…) mais qui semblent convaincus que leur histoire, leurs douleurs, leurs questionnements, sont de fait universels… Et donc à même d’intéresser le plus grand nombre. C’est faux. Pour accéder à l’universel, pour raconter une histoire qui a une chance de résonner auprès d’un nombre conséquent de lecteurs, il faut savoir cultiver l’humilité. Et s’éloigner de soi pour inscrire ses interrogations sur l’autre, les autres, l’humain, dans un cadre large, dans une narration ressentie comme « plus grande que les pages ». Et tout cela n’est pas du tout une question de « géographie ».

 

La preuve avec Elephant Island, le nouveau roman de Luc Baba. L’histoire débute certes durant la Première Guerre mondiale, mais s’inscrit, en partie, dans le cadre étroit du bord de Meuse. Entre la Place St-Lambert et l’orphelinat du Verbois, dans les couloirs glacés de bâtiments de pierre, dans les bistrots enfumés qui sentent le houblon et le genièvre. Mais rapidement, les déboires de Louis, le personnage central, prennent des allures universelles, fascinantes et… humaines. Atrocement humaines même. Parce qu’au cœur de la Grande Guerre, lorsque son père meurt dans les tranchées, le petit Louis se retrouve placé dans un orphelinat, soumis au diktat aveugle de ces adultes qui pensent ce que doit être l’éducation… sans jamais songer à ce que peut être un enfant. Au fil du temps, des épreuves, des apprentissages, Louis traverse le temps, glisse sur l’Histoire, sans jamais perdre cette envie d’ailleurs, ce besoin d’évasion qui devrait constituer le carburant essentiel des hommes libres. Même si la réalité, les conventions, la pression sociale, l’organisation du monde, n’ont de cesse de disqualifier cette curiosité, cette soif de connaissance, pour les peindre aux couleurs de la dérive, de la dissidence ou encore de la marginalité.

 

Au final cette liberté chérie, que Louis cherche à toute vapeur, en lui donnant toutes sortes de nom, toutes sortes de déguisement, c’est aussi celle de l’auteur Luc Baba. Jongleur de mots, chercheur de phrase, il ne fond jamais son écriture dans un moule quelconque. Lorsque l’on pense avoir saisi un certain formalisme, il surprend d’un dialogue hilarant. Lorsque l’on devine la longue recherche du mot exact, il déboule avec un néologisme. Et lorsque l’on sent le froid manteau du désespoir draper sa prose, il s’échappe d’une pirouette ou d’une scène presque burlesque.

 

Surprenant et riche, voilà sans doute les qualificatifs qui définissent au mieux ce roman.

 

Elephant Island par Luc Baba, Éditions Belfond

 

Interview de Luc Baba ici

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