Deux films d'animation de Fumihiko Sori

Réalisateur: 

_Double chronique avec deux films de Fumihiko Sori, réalisateur de films d’animation SF au modernisme affiché. Le ton, le jeu des personnages est froid, très cérébral, mais les thématiques sont intéressantes, le graphisme de haute volée.

Vexille

De Fumihiko Sori, 2007, 109 mn

Ce qui frappe immédiatement au visionnage, c’est la radicalité du scénario. Pas de compromis dans l’idée, poussant à l’extrême la robotisation en cours au Japon, où plutôt son androïsation extrême.

Le monde entier a interdit la recherche sur la robotique, de peur de voir l’arrivée d’une vie synthétique. L’entreprise Daiwa rejette cette interdiction, prend le pas sur l’état japonais. Nous assistons à la tentative furtive de l’ONU d’entrer dans un archipel complètement fermé sur lui-même, n’exportant plus que des robots. La vérité sera terrible à admettre. Le Japon a été rasé, aplani afin de récupérer toutes les ressources naturelles.

Des Japonais, il n’en reste plus. Ou si peu, des rescapés enfermés dans un ghetto sur le site de Tokyo, voués à être transformés en androïdes métalliques par un vaccin artificiel censé protéger la population et injecté sur ordre du gouvernement.


La résistance s’organise afin de pénétrer et détruire l’île dans la baie de Tokyo, siège de la société Daiwa productrice de robots, responsable du génocide.

C’est la brutalité même de cette surexploitation de la nature, de la prise de contrôle d’un pays entier par une société privée sans autre but que le profit, de la disparition d’un peuple entier qui constitue l’intérêt du film.

À vrai dire, je suis resté tétanisé durant le premier visionnage sur dvd. J’ai eu la chance de pouvoir revoir récemment le film sur grand écran, le même sentiment d’absolutisme dans la folie industrielle m’est revenu. Dans la première partie du film, Fumihiko Sori parvient à rendre crédible, palpable le génocide économique d’une population entière, trop croyante dans le progrès technologique, sans plus de repères.

Vexille vient donner un relief particulier à la présente situation catastrophique du Nord du Japon. Un parallèle peut se faire entre nucléaire civil et nanotechnologie vendue comme médicale et qui n’est que moyen de contrôle et transformation d’une population.

Tant dans la fiction que la réalité, la vie humaine ne tient plus qu’à un fil. Tant dans la fiction que la réalité, la population japonaise reste sans réaction, passive, soumise à l’autorité, quelqu’elle soit.

Vexille raconte aussi, en la poussant dans ses derniers retranchements, la hantise de l’étranger dans la société japonaise, non pas au sens du touriste toujours le bienvenu, mais de la présence d’immigrés, l’impossibilité de quitter l‘archipel pour un ailleurs. Le destin du pays se joue sur ces quatre îles, bastion refuge, citadelle interdite aux regards extérieurs.
En un sens, Vexille est une métaphore d’un Japon du 21ème siècle encore dirigé par les militaristes au pouvoir durant la dictature qui n’a fini qu’après la capitulation d’août 1945, après avoir entraîné le Japon dans un désastre sans précédent. Une ère du Meiji qui n’aurait pas connu d’interruption, n’aurait retenu aucune leçon historique, uniquement préoccupée de la gloire de l’Empire, quelque soit le prix à payer pour la population.

Vexille avec son esthétique futuriste s’inscrit pleinement dans l’Histoire du Japon, ce qui lui donne cette solidité narrative, cette profondeur angoissante, cette véracité humaine que l’on à peine à croire mais que l‘on ressent comme possible.

Contrebalançant de manière inattendue l’extrême sévérité de Vexille, un hommage évident est rendu aux vers peuplant la planète Arrakis de Dune, à travers ces vers composés des débris métalliques qui vivent sur la surface atrocement plane du défunt Japon.

La bête furieuse et destructrice sera l’instrument de la salvation finale. Elle apporte cette part de fantastique, de divinités animales si présentes au Japon, qui vient tempérer la réalité matérielle terrible d’un Japon réduit à néant par un productivisme, une industrialisation à outrance.

La toute fin me semble un peu trop portée sur la grosse bagarre à mon goût, alors que l’ensemble du film baignait dans une ambiance tendue, dans des problématiques insolubles et terribles. Sans doute l’influence du producteur dirons-nous, soucieux de capter le public adolescent…

Faire également qu’un seul individu, un savant fou, soit au final responsable d’un tel désastre peut aussi apparaître comme une narration quelque peu légère, malgré le fait qu’il ne s’agit pas là comme attendu d’un androïde mais d’un humain cachant sa nature de fragile animal à sang chaud.

Néanmoins, nous sommes là dans d’évidentes références historiques, Hitler petit brun rabougri vantant la solide race aryenne blonde aux yeux bleus, l’Empereur Hiro-Hito descendant de son statut de demi-dieu pour devenir le symbole d’un Japon militariste invincible défait par l’ennemi. Simplement, nous perdons le fil d’enjeux économiques et sociaux qui sont à la base du film, mais qui heureusement apparaissent clairement dans la première moitié.

Vexille reste, malgré une fin à mon sens plus banale, un formidable film de SF, radical, contemporain et d’une forte esthétique, hautement recommandable pour tout(e)s passionné(e)s du genre.


Orbital – To

De Fumihiko Sori, 2009, 87 mn

Deux épisodes d’environ 40 mn, extraits d’une œuvre SF japonaise, Saga 2001 nuits d’Hoshino Yukinobu.

Œuvre suivante, une nouveauté sortie en début d’année en France sous forme dvd, Orbital, ou To en japonais, Fumihiko Sori nous propose deux moyens métrages, inspirés du manga d’une œuvre SF japonaise, que je n’ai pas lue.

Malgré des similitudes graphiques évidentes dans la grande qualité de réalisation et le dessin des personnages, le ton et la sensation que dégage Orbital à son visionnage est bien différent de celui de Vexille.

Nous ne sommes plus dans une angoissante vision d’un futur apocalyptique, mais dans une œuvre aux thèmes classiques, superbement revisités esthétiquement.


Dans le premier moyen métrage, Orbite elliptique, une station spatiale civile en orbite terrestre envoie du ravitaillement à la base lunaire. Un vaisseau cargo revient d’un long voyage avec dans sa soute une fabuleuse source d’énergie, extraite d’une mine lointaine. La station spatiale est attaquée. Les deux équipages résistent, tentent de sauver la cargaison de ses ravisseurs.

L’histoire d’amour entre le responsable de la station orbitale et la capitaine du vaisseau prendra à la toute fin une conclusion surprenante et finalement logique avec la découverte du voyage à la vitesse de la lumière. Je vous en laisse la surprise...

Dans le second moyen-métrage, Planète symbiotique, l’Humanité cette fois colonise d’autres systèmes solaires. Sur une planète, deux petites colonies reproduisent les vieux conflits venus de Terre. Une histoire d’amour a lieu entre deux jeunes gens des colonies adverses, amour interdit. Les paysages et animaux exotiques sont vraiment très beaux, plongés dans une blancheur quelque peu étouffante.

Le jeune amoureux, un chercheur, se trouve contaminé par une entité bactérienne métallique, qui le transforme, en fait l’adapte à la planète.


Le personnage de cosmonaute âgé, venu tenter une réconciliation entre les deux parties, tire les conclusions philosophiques de l’histoire. Est-ce l’humain qui a colonisé la planète ou la planète qui a colonisé l’humain ?

Je n’ai pas trouvé d’images du second moyen-métrage, mais voici une petite bande-annonce.
www.we-prod.com/v3/catalogue/longsmetrages/orbital/orbital.php

Esthétiquement, ce qui caractérise Orbital est véritablement son rythme, lent, loin de toute ambiance stressée. L’arrimage des vaisseaux, les batailles dans le vide, tout se fait à vitesse quasi réelle, avec ce rythme qui s’associe si bien avec l’Espace, loin de l’agitation terrestre. L’on retrouve l’ambiance des films et série SF qui savaient prendre leur temps. La poésie du design des vaisseaux, stations, bâtiments peut alors agir pleinement. Pour tout fan de SF, c’est un vrai régal, pour un jeune public, le rythme pourra peut-être provoquer l’ennui.

Avec ces deux histoires classiques, Orbital est bien plus un hommage à une SF assez contemplative qu’une exploration intrépide des futurs possibles de l’Humanité. Fumihiko Sori n’apporte aucune idée neuve, surprenante, puisqu‘il respecte sans doute les scénarii de l’œuvre originale dont il s‘inspire.


Cela peut constituer peut-être une déception, mais il me semble que ce diptyque ravit tout de même les yeux et fait preuve d’humanité, loin du larmoyant et du moralisme de bas étage.

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