Manuscrit de Sainte-Catherine (Le)


Professeur de Rhétorique (terminales en France NDLR) au célèbre Collège Saint-Michel de Bruxelles, ancien membre de la Société de Jésus (jésuite), il commença à assouvir sa passion de l’écriture dès sa retraite. Ecrit en 1998, son roman Les Allumettes de la sacristie connut un beau succès. Bien avant le Da Vinci Code (2003), Deweert inventait le ’thriller mystique’. Mais, contrairement à Dan Brown, l’écrivain ne se contentait pas de surfer sur la vague purement divertissante de la théorie du complot : il se définissait dès le départ comme un auteur humaniste dont l’oeuvre était destinée, au travers de la fiction, à délivrer un message. Cette sincérité avérée a probablement été l’une des causes du succès constant de ses ouvrages ultérieurs tels Mystalogia ou Le Prix Atlantis.

Ce mélange inextricable entre message et intrigue dramatique apparaît dès le début du Manuscrit de Sainte-Catherine. Comme dans ses livres précédents, il démarre fort. Après un étrange texte mystique en même temps que souriant (une préface ?), un prologue raconte l’histoire de la découverte en 2016, au fameux monastère de Sainte-Catherine (Sinaï), d’un manuscrit curieux, qui n’aurait pas dû se trouver là. Le bibliothécaire Hieronymos, fasciné par la teneur révolutionnaire du texte, le cache aux yeux de son supérieur, archevêque ambitieux et despotique, ainsi qu’à ceux de Maximos, espion placé pour le surveiller. En chemin vers un ami fidèle à qui il compte confier le manuscrit, il se fait assassiner par Maximos. Fin du Prologue. Le roman démarre bien. La suite se déroule en 2018. Après un accident d’automobile où succomba sa fille Flora, le docteur Salvo a perdu la mémoire. Et c’est ici que le roman bascule vers l’imaginaire : il reçoit des messages d’outre-tombe de sa fille par Internet ! Dès lors, Salvo enquête désespérément sur l’événement tragique, bientôt aidé par une journaliste passionnée, Tiziana.

Un numéro écrit au feutre sur l’avant-bras de Flora les oriente vers le monastère Sainte-Catherine et le manuscrit mystérieux dont aurait eu connaissance un moine que Flora devait voir le lendemain de l’accident. Commence alors une course folle. Car d’aucuns sont intéressés à ce document pour de bien autres raisons.

Entre certains chapitres, en italique, des textes religieux analogues à celui de la ’préface’. C’est à ce moment que le lecteur comprend : ces textes sont ceux du fameux manuscrit de Sainte-Catherine, manifestement écrit par Dieu lui-même !

Joli tour de force de Deweert.

Ils révèlent un Dieu ouvert, bienveillant, rigolard parfois. A mille lieues du Dieu vengeur et restrictif tant entendu et vilipendé aujourd’hui. De Washington à Rome, d’Alexandrie à Madrid, le lecteur est balloté au gré des errances des deux héros, tout en faisant connaissance d’une ’confrérie’ assassine dont le but est de les faire disparaître. D’autres personnages remarquables sont rencontrés tels le cardinal Montale, homme de la Curie large d’esprit, ou le sage Abd Al-Wahid, rencontré dans le désert, figure formidable d’Arabe tolérant. Echappant à plusieurs attentats et soutenus par les messages fantastiques de Flora, Salvo et Tiziana suivent la trace de Maximos et du manuscrit, aidés aussi par une mystérieuse rousse. Il est clair à présent qu’une sorte d’Internationale intégriste veut leur peau, Internationale qui a pour but de « semer la terreur au nom de Big God, le sosie de Big Brother, pour imposer des régimes théocratiques réactionnaires en Occident, en Israël et dans les pays musulmans » (p. 383).

Toute la fin du roman, haletante, est digne du grand spécialiste du thriller qu’est Willy Deweert. Mais la verve littéraire, certaine et remarquable, est contrebalancée par la présence répétitive des dix chapitres du Livre découvert, du « manuscrit de Sainte-Catherine », écrit par Deweert porte-parole du Dieu dans lequel il croit admirablement. Loin de tout prêchi-prêcha auquel l’exercice pourrait prêter, l’auteur enchâsse son message non dans le roman même, mais dans ces citations du document imaginaire qui pourrait ainsi rejoindre les nombreux textes de pure invention tels ceux de la nébuleuse lovecraftienne. Sauf qu’ici, le texte ne sert pas à divertissement littéraire mais à révélation au premier degré. Tout le talent de Willy Deweert est de distiller ce message au moyen d’une oeuvre de fiction parfaitement réussie. C’est bien là, je pense, le but premier de l’auteur, certes passionné d’écriture, mais avant tout interpellé par l’évolution spirituelle de notre époque et du recul considérable de l’inquiétude religieuse en Occident. Il souhaite « un Dieu universel, qui tente, à sa manière discrète et aimante, de remettre les pendules à l’heure divine, fustigeant ceux qui font de lui une terreur en semant le chaos » (p. 350).

Il faut relire le Livre en ses dix extraits en italique, de l’alpha à l’oméga, pour comprendre la pensée théologique de Willy Deweert, pensée humaine, si humaine, à laquelle tout humaniste, chrétien ou non, devrait pouvoir adhérer, pour être « les guides sur la route qui mène à l’amour et non d’orgueilleux possédants de la vérité » (p. 428).

Un roman passionnant donc, parfait successeur des précédents et qui, comme eux, parvient en un difficile, fragile et brillant équilibre, à unir une étourdissante verve littéraire à la délivrance d’un message calme et heureux. Voilà un livre qui enrichit et nourrit : il y en peu d’aussi réussis.

Willy DEWEERT : Le Manuscrit de Sainte-Catherine, Desclée de Brouwer, Edition Mols, 2010, 428 p.

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