Maître de la vigne (Le)

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Willy Deweert est l’inventeur du “thriller mystique” et, comme chacun sait, précéda de loin le succès du Da Vinci Code avec Les Allumettes de la sacristie de 1998. Depuis, il a écrit trois autres romans dans la même veine, tous remarquables, culminant par Le Manuscrit de Sainte-Catherine (2010), dans lequel il réussit parfaitement son exercice d’équilibriste : unir message philosophico-religieux et verve littéraire. Ce n’est pas évident, et j’avais salué ici même ce rare amalgame.

La sauce hélas ne prend pas toujours, ce dont témoigne ce Maître de la vigne. Deweert n’a pas réitéré ce subtil mélange qui a fait l’exceptionnel succès de son roman précédent. Les bonnes intentions se trouvent cette fois noyées dans le fatras prosélyte, travers que l’auteur avait pourtant toujours évité, malgré les pièges inhérents au genre et sertis dans toute son oeuvre. L’idée de départ est excellente. Deweert raconte en fait les mémoires d’un “truand chrétien”. Rien que cela est excitant. Né en 1921 dans une famille proche des nazis, Kurt Geissler tue l’oncle violeur de sa soeur. Devenu Peter Dreyer, il sera l’exécuteur des basses oeuvres d’une femme démoniaque, Helga Strausser, et finira sa vie en tant que Nicolas Rambert, moine de la communauté bénédictine de Saint-Maur.

Le roman est donc le récit d’un homme qui aura vécu plusieurs vies, torturé par son inquiétude spirituelle qu’il ne parvient pas à relier avec son quotidien. Très beau sujet de roman. Un roman de souffrance constante, très bien rendu par une prose soignée et vivace. La personnalité d’Helga Strausser, galeriste qui engage le Dreyer en qualité de restaurateur, est puissamment décrite : cette femme ferait une magnifique héroïne d’opéra. La découverte d’un tableau secret occulté par un autre sert de détonateur à une action trépidante, sur fond d’"Odessa file" en Suisse, en pleine Seconde Guerre mondiale. Les constants flash-backs avec sa vie de moine relatant ses aventures passées épicent le propos. Sa vie bascule lorsqu’il apprendra son cancer. A l’hôpital, il rencontre un franc-maçon, qui deviendra son ami. Le prêchi-prêcha menace, sournoisement, alors même que les intentions sont bonnes. Car Deweert est tout sauf un catholique intransigeant. Très tolérant, il défend une Eglise moderne et ouverte au monde actuel et à ses questions.

Ce qui serait magnifique dans un essai retombe dans un roman, comme un soufflé. Ce n’est pas l’endroit de citer trop de fois l’Evangile ou d’autres textes théologiques, dont le lecteur n’a que faire. Ce défaut, légèrement soupçonné dès Le Prix Atlantis, devient rédhibitoire. La mayonnaise ne prend plus. Le “coup de théâtre” relatif au portrait retrouvé de Mahomet devrait relancer l’intrigue, mais n’apparaît que comme un emplâtre et le lecteur se fatigue de ce nouvel artifice, qui domine toute la fin du roman, sans intérêt particulier. Et les dialogues, pour intéressants qu’ils soient, entre le chrétien Nicolas, le juif David et le franc-maçon Etienne lassent. Tout cela tire en longueur. Le Jihad final a assez donné en littérature et semble “plaqué”, pour faire mode. Helga finira défigurée après une séance de torture par la Mafia : le lecteur n’en a cure. Islamisme et mafia se télescopent ? Le lecteur n’en a cure. Même les Assassins du Vieux de la Montagne sont mis à contribution : le lecteur n’en a cure. Des assertions intelligentes sont développées, entre autres sur la fameuse personnalité de Giordano Bruno : fatigué, on passe. Tout cela est intéressant, certes, mais pas dans un roman. Bien plus émouvante sera la relation par le Père Abbé de la mort de Nicolas Raimbert, in fine, où la recherche spirituelle redevient élément littéraire. Il était temps.

Roman globalement décevant donc, malgré nombre de pages brillantes, et même d’humour, Deweert restant un grand écrivain. Décidément, il nous doit une revanche. Car je crois profondément en cet auteur belge majeur et à son message d’ouverture spirituelle. Simplement, il devrait le distiller plutôt que l’étaler. Et revenir au style élégant du Manuscrit de Sainte-Catherine, là où le message s’inscrivait parfaitement, au gré d’un manuscrit révélé, à celui qu’il souhaitait faire passer. Je crois dur comme fer au talent de Willy Deweert : voilà pourquoi j’ai été un peu dur cette fois. A bientôt, l’ami !

Willy Deweert : Le Maître de la vigne, Desclée de Brouwer, Editions Mols, 2011, 380 p., 21,50 euros

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