Indécence

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Willy Deweert est un écrivain belge que nous suivons depuis son fameux roman Les Allumettes de la sacristie, paru en 2000, fort bien accueilli. Ainsi était lancée la vogue du “thriller mystique”, bien avant Da Vinci Code (2003). Ancien professeur de rhétorique (NDLR : Terminales en France), Deweert a vite compris l’extraordinaire pouvoir dramatique que pouvait susciter l’alliance de la religion et du policier. Plusieurs autres romans ont suivi, dont le remarquable Manuscrit de Sainte-Catherine (2010).

Willy Deweert est un humaniste profondément imprégné de culture et de spiritualisme chrétiens : cela se ressent dans tous ses livres de fiction, où il tente, souvent brillamment, de mêler intrigue palpitante et message religieux. Avec Indécence, il sort totalement du mode romanesque pour livrer un essai, dont les idées sont précisément celles qu’il sème tout au long de ses romans. Sauf qu’ici, elles s’égrènent l’une après l’autre, à la manière d’un pamphlet.

L’ouvrage est divisé en sept parties, sous l’égide de l’Agneau de l’Apocalypse, celui qui ouvre les sceaux. Sous cet angle singulier, Deweert brosse un panorama féroce du monde dans lequel nous vivons. Passent ainsi sous son peigne, successivement, l’économie, la politique, l’éducation, la religion, les media, le sport et l’informatique. Impossible de détailler toutes les saillies de l’auteur, souvent très pertinentes. Elles peuvent surprendre, intéresser ou irriter le lecteur. Mais elles sont là, noir sur blanc, et interpellent, “propos non d’un gauchiste aigri, mais d’un homme excédé” (p. 58). Le regard est aigu, parfois caricatural, par exemple sur notre démocratie malade, sur cette “société de consommation à l’origine de la postmodernité (…) qui a plombé les valeurs qui étaient notre terreau” (p. 76). Valeurs que nos ancêtres moins distraits par leur environnement pouvaient sans doute vivre plus intensément. Eloignement de l’universel pour le particulier, de l’intemporel pour l’immédiat. Ses pensées consacrées à l’éducation sont évidemment passionnantes, émanant d’un ancien prof. Deweert, mais nous le savions au travers des remarques parsemées dans ses oeuvres de fiction, est très critique envers l’institution religieuse. Il y va parfois très fort : “Le Vatican, son pape et sa curie sont des obstacles à la vraie foi. Qu’ils s’en aillent ou qu’ils changent” (p. 108). Au-delà d’une certaine exaltation exaspérée, il faut regarder le fond de sa pensée, qui est saine. Assez anti USA, l’auteur s’interroge sur la désastreuse influence culturelle américaine sur “le continent de Pascal, de Mozart, de Rimbaud” (p. 118). Honnissant Bernard-Henri Lévy, il rend tout de même hommage à la presse. Quant au sport, “jeux du cirque”, il est, comme tout, soumis à la loi du marché, de l’économie : “dénaturer ce qui devrait être un plaisir et un divertissement est une indécence supplémentaire à une liste déjà longue” (p. 137). Enfin, abordant l’informatique, “la plus grande invention de tous les temps”, il insiste sur son côté “arme à double tranchant” (p. 140). Le chapitre final est intitulé “L’Avenir”. Très pessimiste quant à l’évolution de notre société, Deweert en remet parfois un peu mais, ne l’oublions pas, il écrit un pamphlet.

Indécence est un cri d’alarme, fustigeant nos défauts. La noble Raison du passé a cédé la place à l’immédiateté factice du paraître omni dominant. Sa description du contenu d’un journal télévisé du 24 juillet 2011 (p.160), ou sa version très théologie-fiction, comme il le dit lui-même, d’un Jugement dernier ironique (p. 167) tempèrent la vision un peu noire et tragique de sa conclusion. Ainsi que les derniers paragraphes, dans lesquels, citant Teilhard de Chardin et évoquant Vinci, Einstein et Steve Jobs, Deweert aspire à “conjurer le malheur et promouvoir le sublime” (p. 169). Il annonce une “super humanité” à la Stapledon, qui pourrait “surmonter l’insurmontable.” Serait-ce une nouvelle étape de l’Histoire, conclut-il, sous l’égide de Quelqu’un ? “Prédiction audacieuse, irritante pour les incroyants” : ainsi termine-t-il son livre. Livre, on a pu s’en rendre compte, d’une incroyable densité, prodigieusement bien écrit, dont chaque phrase est à méditer. On n’y compte plus les formules qui frappent, les raccourcis saisissants. Mais au-delà de cette brillance de propos, Indécence est un ouvrage courageux, qui fait froid dans le dos à certains moments, mais qui laisse une rare impression de hardiesse et de lucidité.

Willy Deweert, Indécence, Editions Mols 2012, 170 p. 18,50 euros.

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