Coup de gueule

Coup de gueule

 

Voilà trois romans consécutifs dans ma pile de lecture qui utilisent le même procédé narratif introduit par Dos Passos, et merveilleusement utilisé par John Brunner dans Tous à Zanzibar, des récits intercalés et imbriqués, avec une convergence plus ou moins apocalyptique. Avec en prime des flashbacks, en particulier sur tout le passé d’un personnage que, dans un roman antérieur, une première partie ou un prologue aurait présenté. Un excellent procédé au demeurant, quand il permet de construire l’histoire et son approfondissement, mais qui, employé à tort et à travers, remplace le pourquoi de l’histoire par la recherche du comment et transforme la lecture en jeu de piste à la Bourrel au lieu de réflexion sur le thème réel...

 

Une fois sur quatre (évaluation à la louche, peut-être excessive puisque l’échantillon ne comporte qu’un exemple ancien, celui de Brunner), la construction « convergente » permet l’accumulation progressive des données du problème que le roman veut mettre en avant. La plupart du temps, il s’agit seulement d’un procédé non seulement gratuit, mais nocif, qui remplace la construction réelle du problème. C’est la sensation que m’ont laissée ces trois romans que je ne dénoncerai pas ici. Je me suis fait tourner en bourrique, promener autour de l’histoire, là où la construction ancienne, quasi-linéaire, m’aurait permis de me concentrer sur le sujet du roman.

Et ce procédé passe apparemment pour un signe de modernité du roman... À tel point que certains lecteurs l’attendent, le réclament et refusent de se contenter d’une intrigue « linéaire » même construite et solide.

Pas que ce ne soit pas utile, quand le roman, comme le quatrième consécutif à l’employer – je dirais même suremployer, hélas, la présentation non chronologique des épisodes étant plus gênante qu’utile – les procédés (Lune du loup, de Ian McDonald) visent, essentiellement, à amener le lecteur à découvrir, pierre après pierre, une mosaïque ­– histoire d’oublier que cette mosaïque est en elle-même le but, pas le moyen, du roman. Parce que, en fin de compte, il y a des romans autocentrés, qui veulent, seulement, réaliser et être un chef-d’œuvre. C’est, apparemment, le but d’une partie de la littérature et la branche SF possède une intersection avec cette partie.

De là à ne pas regretter les romans qui se veulent réflexion sur le monde, l’un des objectifs de la fiction spéculative... Ce n’est pas l’existence de ces romans qui me dérange, je serais heureux d’en lire un de temps à autres : c’est leur généralisation, le « quatre de suite ». Qui fait que même le meilleur des quatre romans, le dernier, n’est plus agréable à lire.

Est-il aussi besoin de dire que cette construction est, en fait, bien plus difficile que la construction d’un roman linéaire et que les incohérences, même moins évidentes, y deviennent encore plus graves ? Une fois repérée, la moindre d’entre elles tue toute la mosaïque. De là mon incapacité à recenser certains des romans non cités. Et le présent coup de gueule.