Check-point

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Résumé

Bosnie, 1995. Deux camions appartenant à une ONG lyonnaise traversent la Yougoslavie en guerre. Ils doivent livrer nourriture, vêtements et médicaments à des civils croates encerclés par les Serbes, dans le petit village de Kakanj. Les équipages sont composés de quatre hommes et une jeune femme. Lionel et Maud sont jeunes et manquent d’expérience. Alex et Marc sont d’anciens militaires qui ont servi comme casques bleus dans la région. Vauthier, personnage sombre et trouble, est une énigme. Très rapidement, Lionel, le chef de mission, perd le contrôle des évènements.

« Jusque-là, ils avaient traversé des frontières, c’est-à-dire des limites officielles entre États. Les check-points, c’était autre chose : des séparations imprévisibles et mouvantes entre zones ethniques, obéissant à l’autorité de petits chefs locaux. »

 

Un mot sur l’auteur

Jean-Christophe Rufin, né en 1952, a exercé comme médecin à l’AP-HP, mais surtout à Médecins sans frontières, aux côtés de Bernard Kouchner, et à Action contre la faim. Il a travaillé pendant 20 ans dans l’action humanitaire avant d’écrire son premier roman en 1997, L’abyssin, qui remporta le Goncourt du premier roman. Il a écrit treize romans, un recueil de nouvelles, cinq essais (notamment sur l’action humanitaire) et gagné le Goncourt en 2001 avec Rouge Brésil. Il fut élu à l’Académie Française en 2008. Check-point est son dernier roman en date. Sa parution en poche chez Folio est l’occasion de revenir dessus.

 

Mon avis

Le roman s’ouvre sur un prologue qui nous plonge tout de suite dans l’ambiance et nous met sous tension. Les premières lignes nous font comprendre que l’aventure ne s’est pas passée comme prévu et que deux des personnages sont en danger. Les descriptions du paysage bosniaque et de l’atmosphère  hivernale sont superbement rendues. Du fait des références académiques de l’auteur, je m’attendais à un roman lent, introspectif. J’en suis pour mes frais : ça démarre comme un roman d’action, voire un polar.

Et c’est bien de cela qu’il s’agit. Check-point est un roman d’aventure qui mêle habilement suspense, action et romance sur fond de guerre. Celle-ci est à peine effleurée. L’auteur se garde bien d’en expliquer les tenants et les aboutissants. Il nous place au niveau de ses personnages, qui sont partis davantage pour des raisons personnelles que pour apporter une aide qui s’avère dérisoire. Si l’auteur a privilégié le récit et les personnages, c’est-à-dire la petite histoire à la grande Histoire, il n’en a pas délaissé pour autant une réflexion pertinente sur le rôle de l’aide humanitaire et sur l’évolution des conflits armés. Les anciennes lignes de front qui opposaient des rangées bien alignées de soldats en uniformes se sont écroulées pour laisser place à des conflits ambigus, où les civils deviennent des bouchers, où la guerre devient prétexte à récupérer des terres ou des biens, à imposer une idéologie ou une croyance, à régler des comptes plus qu’à gagner des territoires. L’écrivain peut se permettre d’explorer et d’exprimer des opinions et réflexions que le médecin était sans doute obligé de garder pour lui. Chacun des personnages représente une facette de cette action humanitaire débarrassée d’héroïsme, sans tomber dans la caricature ni le manichéisme. Le jeune paumé qui y trouve un moyen de se donner de l’importance, c’est Lionel. Le déraciné romantique et amoureux qui veut aider d’autres déracinés, c’est Alex. Le combattant persuadé que les bombes sont plus efficaces que les vivres, c’est Marc. Le salaud cynique pour qui la guerre est un instrument – ou pour reprendre les mots de Carl Von Clausewitz[1] : La guerre n’est qu’un prolongement de la politique par d’autres moyens –, c’est Vauthier. Et enfin, la jeune idéaliste rebelle et solitaire, qui comprend les causes réelles de son engagement après être partie et à l’instant de toucher le fond, c’est Maud, le personnage principal, celui sur lequel se cristallisent les questions éthiques, politiques, militaires, amoureuses.

 

En conclusion

Surprenant dans son approche résolument tournée vers l’action, Check-point est un très bon roman, un divertissement intelligent et documenté qui se lit à un rythme effréné. Il est difficile de ne pas penser à l’immense Salaire de la peur d’Henri-George Clouzot, qui aurait été transposé dans les Balkans. Il s’achève sur une postface dans laquelle l’auteur s’explique sur ses choix narratifs et invite à une réflexion plus large sur l’action des ONG dans les pays en guerre, et sur ce que le conflit yougoslave pouvait avoir de prémonitoire.   

Les évènements tragiques qui se déroulent à cet instant même en Syrie, aux portes de l’Europe, éclairent d’une sombre lueur les propos de Jean-Christophe Rufin : « C’est l’Europe qui se déchire, une Europe où tout le monde décide de s’armer pour se protéger contre la menace qu’il a peur de subir. Il y a dans ce passé déjà lointain un peu de notre présent et, je le crains, beaucoup de notre futur. »

 

Check-point de Jean-Christophe Rufin, Éditions Folio, octobre 2016

 

[1] Officier prussien qui a combattu Napoléon et rédigé De la guerre, essai de stratégie militaire qui a inspiré De Gaulle, Churchill ou Lénine.

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