Mazzera (La)

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L’écriture est au premier abord plate et sans surprise. On déplore parfois le manque d’ambiance et d’émotion, alors que tous les éléments sont là pour en créer et qu’il y a une connaissance très pointue du sujet (le chamanisme insulaire, ses rites, ses lieux magiques...). Le regard reste extérieur, les personnages superficiels : plutôt que d’un roman, il s’agit d’une tentative d’illustration romanesque d’une tradition culturelle quasiment disparue. Tentative avortée, en un sens, puisque rien dans la création de ces personnages et de cette histoire stéréotypés ne parvient à représenter ou faire revivre le merveilleux passé. On le regrette, comme le regrette déjà la mazzera Divota sous la plume de l’auteur : "Un jour, nous aussi finirons par disparaître ; alors la meute symbolique ne sera plus qu’un souvenir dans la mémoire des conteurs." Oeuvre de mémoire, hommage au passé donc que ce livre mort : et pourtant, il en émane une véritable tendresse qui nous le rend attachant. Tendresse pour une terre connue et aimée que jalonnent les vestiges d’un passé mystérieux et révolu ; tendresse pour des personnages dont les noms, l’enracinement géographique, la pensée à la fois complexe et naïve nous renvoient à la nostalgie d’une île proche et lointaine où on ne sait plus trop si on se perd ou si on se retrouve ; tendresse enfin pour cet amour humain qui, en finale, serait appelé à vaincre les superstitions et les médisances et à transcender le temps.

Le mérite reste d’avoir tiré cette tradition de sorcellerie plus ou moins inconnue, celle de l’île, qui rejoint la grande tradition chamanique avec ses particularités, de la poussière des bibliothèques savantes, et de l’avoir mise à la portée du grand public.

C’est aussi l’occasion de constater une fois de plus combien il est difficile pour un auteur corse de parler de la Corse. Parler de son pays, de son identité, c’est en effet parler de soi à travers une série de miroirs déformants. Là se révèle toujours la crise identitaire : notre regard est tellement contaminé depuis des siècles par celui de l’autre que nous ne savons plus discerner ni dire qui nous sommes, ou pire nous ne savons plus qui nous sommes. Les oeuvres de Mérimée et Maupassant et de tant d’autres extérieures à nous, dont le succès continue de nous écraser, nous a comme dépouillés de notre réalité et, par pudeur ou par ignorance, ou les deux, nous continuons de nous fabriquer un masque alors même que nous prétendons nous dévoiler.

L’ouvrage en tout cas est définitivement à lire et constitue une source précieuse d’informations pour toute personne éprise de magie et de fantastique.

André-Jean Bonelli, La Mazzera, 180 p., Anima Corsa

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