33e itération

Auteur / Scénariste: 
Illustrateur / Dessinateur: 


La publication de ce roman d’Yvan Bidiville a fait l’objet d’un fil sur Actu sf qui se conclut par cette parution.

Il s’agit en apparence d’un thriller futuriste : la chasse à un tueur en série dans une Suisse de 2035 marquée d’une part par une politique de plus en plus fasciste et xénophobe, essentiellement islamophobe, d’autre part par l’omniprésence de la firme Grown Assurances. Celle-ci a, via une filiale, géré le projet IMPress de création d’implants informatiques qui permettent d’accroître les capacités mémorielles et intellectuelles des implantés. En 2035, la plus grande partie de la population est implantée, et les « indigènes », c.-à-d. les non-implantés, ne peuvent plus accéder au marché du travail. Ceci dans un monde surchauffé où l’eau commence à manquer, où manifestations contre le gouvernement et attentats attribués aux islamistes aggravent encore les difficultés de la population. Or l’assassin, qu’on a baptisé « l’usurpateur » car il semble pouvoir approcher ses victimes sous différentes identités de proches, s’attaque aux chercheurs du projet IMPress. Toujours pour donner au roman l’apparence d’un thriller ordinaire, les héros sont de prime abord caricaturaux. L’inspecteur Siegfried, qui, comme dans tout thriller de ce type, accumule les handicaps et est obligé de compenser par l’usage d’une drogue puissante et dangereuse le fait que son implant est périmé, a d’abord soupçonné un ancien cobaye d’IMPress qui voudrait se venger. Et, en marge de l’enquête de la police, un détective privé qui travaille pour Grown Assurances, Jonze, doit reprendre l’enquête au point où l’a laissée Siegfried. S’intercalent donc les recherches de Jonze et de son collègue Garnier, et celles, antérieures, de Siegfried et de sa partenaire.

La difficulté de cette présentation alternée des deux enquêtes, en fait successives, demande certainement au lecteur qui veut ne rien perdre de relire le roman dans l’ordre chronologique des événements. Mais le résultat est assez réussi, tant par l’idée cachée que par son ambiance de catastrophe qui ne cesse d’empirer. En fin de compte, au-delà du thriller futuriste, plus qu’une dénonciation d’une dérive politique hélas fort probable, sujet de réflexion rappelé, mais non développé, c’est le montage autour d’une certaine version de post-humanité, les implantés, qui incite à réfléchir. Cette interaction entre implants et cerveau est-elle vraiment envisageable ? Même s’il l’aurait volontiers envisagé dans un roman, Bruce Sterling la considère comme non réalisable et je partage ses réserves. Ce qui n’enlève rien à l’intérêt du roman. D’autant plus qu’en cas de réalisation, on peut se demander si la dérive envisagée serait évitable. Voici donc un roman qui, à sa manière, surfe sur une Singularité imaginable. Il n’est peut-être pas possible d’imaginer l’après-Singularité, mais on voit comment son arrivée, son développement qui ne sera probablement pas instantané, donnent lieu à des réflexions encore possibles pour les humains actuels...

Par les questions qu’il pose, ce roman aurait aussi été à sa place dans des collections plus exigeantes sur la rigueur scientifique que, malgré la volonté de brouiller les pistes dans la présentation alternée des deux fils temporels, l’auteur a appliquée. Il pourrait être qualifié de « hard science », encore plus que de « cyberpunk ». Offrez-lui une, deux, voire plus, itérations de lecture...

33e itération de Yvan Bidiville, 2012, 269 p., couverture de Sylvain Demierre, 20€, ISBN 978-1-61227-132-3, Rivière blanche n°2098

Type: