BABA Luc 01

Pourquoi le choix de cette période, entre Première et Seconde Guerres mondiales ?

Le roman s’ouvre en 1917. Il se trouve que j’ai lu un témoignage datant de cette époque, une époque dont on connaît les combats, les tranchées où le sang ruisselait, pas l’enfer que vivaient les gamins dans divers centres de détention. Par la lecture d’autres documents et de nombreuses recherches sur l’actualité de l’époque, j’ai découvert les aventures de Shackleton dans les glaces de l’Antarctique, et celles de l’Atlas V sur la Meuse, l’an 1917 s’est alors imposé à moi. J’ai choisi ensuite d’emmener mon petit Louis au moins jusque dans les années 50, qui furent émaillées de procès, de prises de conscience et d’une amélioration notoire des conditions de prise en charge des enfants orphelins ou délinquants.

 

Lorsque tu as entamé l’écriture de ce roman, savais tu déjà qu’il était destiné à Belfond ? Le fait d’entrer dans une « grande maison », est-ce quelque chose qui a influencé son écriture ?

Je dois mon arrivée chez Belfond à Nadine Monfils. Elle a lu quelques-unes de mes pages lors de la remise d’un prix littéraire dont nous étions tous deux finalistes et m’a invité à contacter son éditrice, chez Belfond, donc. J’achevais en ce temps-là un roman intitulé Les 7 meurtrières du visage, qui signait pour moi une transition entre l’écriture de romans que je qualifierais d’intuitifs et la conception de romans plus construits, plus travaillés, plus réalistes aussi. J’ai ressenti la nécessité de grandir, en toute chose de la vie d’ailleurs, de franchir un cap, et de raconter des histoires. Pour aller plus droit au but, je peux dire que la perspective de publier chez Belfond s’est présentée au bon moment.

 

Dans ton processus d’écriture, quel élément vient au jour d’abord ? Les personnages ? La narration ? L’idée que tu désires véhiculer ? Des images ?

Cela dépend des bouquins. Pour celui-ci, c’est une histoire de meuble d’occasion qui m’a donné l’impulsion. Je l’ai acheté à une dame qui se trouvait être l’épouse du journaliste Hugues Dorzée. Dans le petit meuble, j’ai trouvé un livre sur les prisons que j’ai ouvert au hasard à la page des bagnes pour enfants. Hugues est un spécialiste de la question de l’enfermement des mineurs. Quand je l’ai contacté pour lui rendre son livre, il me l’a offert, puisque je lui parlais d’un roman à naître, et m’a envoyé quelques documents qui ont servi à la construction du récit. J’ai ensuite entamé mes recherches, pris un paquet de notes, laissé mûrir au soleil, appelé à la rescousse mon architecte intérieur, et travaillé longuement.

 

Es-tu de l’école de l’écriture rapide, fiévreuse, qui demande ensuite beaucoup de réécriture ? Ou est-ce celle de l’accouchement lent, de phrases sculptées, où rien n’est en trop ?

Je suis plutôt lent, j’écris dans un état méditatif, et je peux rester l’esprit ballant pendant de longues minutes avant que ne s’éveille un paragraphe, une idée, l’intervention opportune d’un personnage. J’aimerais insister également sur le travail de réécriture, merveilleusement suivi par l’éditrice. Un jour, la patronne m’a appelé pour me dire que l’équipe avait passé une matinée à réfléchir au début du roman, qui semblait présenter un défaut. Elle a mis ce défaut en lumière, et m’a fait confiance pour trouver le remède, tout cela en des termes très justes. Je me suis remis au travail et le roman a gagné en cohérence et en fluidité.

 

Tu as beau aborder les thèmes sombres dans tes écrits, dissimuler les éclats de joie dans une terre noire… Au final, tu es tout de même optimiste, non ?

Oui. Je suis de ceux qui pensent que l’esprit humain évolue. Je prête d’ailleurs ces mots à Louis adulte. Des poètes, des journalistes, des pédagogues, des hommes de loi, ont permis de passer d’une maltraitance en bagnes et maisons de correction, à un système de protection des droits de l’enfance dont nos pays n’ont pas à rougir il me semble. Je tiens à nourrir cette part d’optimisme et ma joie d’être au monde, elles sont des moteurs pour agir, orienter la pensée vers le haut, où se trouve la lumière. Et puisque Richard Ford est l’invité d’honneur de la Foire du Livre, je me permets de reprendre ses mots : « Écrire des pages dans la terre sombre, c’est un acte optimiste ».

 

Cela n’a pas été trop difficile de « faire passer » un titre anglophone pour un roman francophone, d’une collection blanche ? Avoue, on t’a proposé « L’orphelin qui rêvait d’un bateau » ? « Louis, ou les tranchées d’un autre âge » ? Ou encore simplement « Orphelin » ?

Non, le titre a fait mouche, nul ne l’a contesté. Je pense qu’il peut résonner aux oreilles des lecteurs comme il a résonné aux oreilles de Louis. Je suis loin d’être un anglophile, moi qui suis pourtant germaniste, je dirai courriel et non mail, mais il y a dans Elephant Island quelque chose que « l’île de l’éléphant » traduit mal. L’absence du « the » est justifiée par l’absence nécessaire de toute connotation démonstrative. Notre « L’ » est sans nuance.

 

On retrouve dans le roman à la fois une détermination puissante chez certains personnages… mais aussi un déterminisme qui fait froid dans le dos. Pour toi, la vie, c’est aller au-delà du déterminisme ? Ou s’en accorder, pour vivre au mieux entre les barrières sociales, économiques, humaines, relationnelles ?

Je nourris ce me qui semble juste, après un examen qui laisse l’émotion en marge, et lutte avec mes armes, aussi frêles soient-elles, pour défendre des valeurs humanistes mises à mal. Un bouquin sur les centres fermés, un autre sur l’aïd, celui-ci entre les murs des orphelinats. Le déterminisme porte souvent le manteau des démissions et de la défaite.

 

Si ta vie en dépendait, serais-tu capable d’écrire un roman où un jeune héros Liégeois armé d’une réplique du Perron en acier trempé, défend le Pont de Fragnée contre une attaque de Poulpes Walkyries Volantes, avec des seins énormes qui crachent de l’acide ? Je pourrais en écrire la préface ?

Jamais.

 

Comment vois-tu ta carrière d’auteur dans cinq ans ?

Éternellement écolier, toujours amoureux des oiseaux et de la mer, mes muses, dénigré par la critique à cause d’une histoire de poulpes attaquant le pont de Fragnée, préfacée par un fou. Je cosignerai peut-être enfin un étrange roman moyenâgeux ou non avec un auteur qui aura conservé l’intelligence de ne pas se prendre au sérieux et de placer au-dessus des livres la qualité des rapports humains. 

 

Critique d'Elephant Island ici

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