Aucun homme n'est une île

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Il s'agit d'un roman d'aventure situé dans un monde uchronique, ce qui n'est pas la même chose qu'une uchronie : le but n'est pas de présenter les conséquences de la divergence, mais seulement de les utiliser pour justifier et orienter l'action. C'est d'ailleurs en général la manière de procéder de Christophe Lambert qui ne vise aucunement à une réflexion sur l'« Histoire », mais bien à construire un récit dont la cohérence exige la création d'une autre ligne historique. Et c'est bien sûr tout à fait légitime.

Par contre le titre, basé sur une discussion des personnages, m'a dérangé : la phrase utilisée est une référence de la culture anglo-saxonne depuis sa création par John Donne en 1617, et le sens de la phrase (et sa suite : la méditation se termine par « ne demande pas pour qui sonne le glas, il sonne pour toi ») n'a rien à voir avec la manière de l'utiliser du récit. Alors même qu'il est plus que certain que c'est en se référant à l'emploi par Hemingway de la fin de citation que Christophe Lambert en a utilisé le début.

Parce que c'est l'histoire d'un Hemingway possible dont ce roman nous raconte une aventure, et Christophe Lambert s'est astreint à le composer dans le style d'Hemingway (il explique à la fin comment il a adapté son écriture en rejetant certaines règles littéraires françaises). Le titre aussi est donc un clin d'œil. Mais je ne crois pas qu'un Américain aurait pu faire l'utilisation « jeu de mots » de la phrase qui figure dans ce roman. Parce qu'elle est trop profondément installée avec son sens réel dans la mentalité des Anglo-Saxons.

Nous sommes donc dans un fil historique dans lequel Kennedy a su éviter le piège de la Baie des Cochons et, ayant décommandé l'opération mise au point par l'administration d'Eisenhower, a su préparer une opération mieux organisée, qui a eu lieu en octobre 1961. Et dont, à côté du succès que n'a pas connu notre ligne de temps, une conséquence est le fait qu’Hemingway ne se suicide pas et entreprend d'aller interviewer Castro dans les montagnes où il s'est replié. Ainsi que le Che, qui l'a accompagné. Bien sûr, l'administration américaine lui impose d'être accompagné d'un agent de la CIA, chargé de le protéger. Et aussi, si l'occasion se présente, de tuer les chefs rebelles.

C'est en fait l'évolution et les réactions de cet agent, un certain Robert Stone, qui seront au cœur du récit. Autour de ce personnage totalement imaginaire vont intervenir les versions romanesques d'Hemingway, de Castro, du Che, et de Néstor Almendros, alors jeune cinéaste. Même si Christophe Lambert s'est appuyé sur un grand nombre de documents réels et de citations existantes, seulement réutilisés à contretemps dans le roman, de Castro et du Che, j'ai eu l'impression que l'un comme l'autre étaient trop archétypaux ; en revanche les personnages de Robert Stone et de Néstor Almendros sont beaucoup plus travaillés, et leurs réflexions, leurs évolutions psychologiques sont crédibles. Ainsi que celle d'Hemingway, une fois admis qu'il a su reprendre goût à la vie avec cette nouvelle aventure.

Ce qui, en fin de compte, rend le roman très agréable à lire. Et à défaut de présenter une réflexion poussée sur une uchronie possible, le rappel en postface des données « réelles » (c.à.d. celles liées à notre fil) fournit l'occasion de réfléchir, au moins, sur ce moment de l'« Histoire réelle ».

 

Aucun homme n'est une île par Christophe Lambert, J'ai Lu Nouveaux Millénaires, 2014, 283 p., couverture de Flamidon, 16€, ISBN 978-2-290-07221-9

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