Histrion (L')
Un monde complexe
Dix-mille ans d’évolution, dix-mille systèmes stellaires, gouvernés par dix-mille nobles. Voici l’Empire. L’humanité comporte également la Confed, les Nautes, les Marches, le Lansall, l’Eglise, les Erudes, les Scientes, les Andres et le Taj Rama, dix communautés distinctes, avec leurs spécificités ethniques, philosophiques et politiques. Dix mondes ou groupes de mondes qui constituent l’humanité. En marge de ce tableau pointilliste, existe Genesis, une créature-monde à l’origine incertaine et à la nature mal définie. Plus proche du mécanique de l’organique, il occupe une planète entière et agit pour bouleverser l’ordre des choses : il compte unifier les Hommes derrière une structure politique de son invention, le Daym. Chacune des dix communautés y possède un mandataire et la onzième place est traditionnellement occupée par une personne que la créature-monde désigne elle-même : l’Histrion.
Son rôle est de foutre le bordel, de déranger les esprits, de casser la routine, de surprendre. Il est le garant de l’évolution du Daym, le garde-fou contre la stagnation. Et il se fait traditionnellement tuer par l’un ou l’autre des dix autres membres du Daym.
Le roman commence avec Aimlin – qui est le prochain histrion mais qui l’ignore encore. Aimlin(e) est sexomorphe. Il/elle change de sexe à volonté, dans une métamorphose qui dure plusieurs heures et qui modifie jusqu’à son ADN. Aimlin est rebelle, fantasque, personnel et incontrôlable. Il convient parfaitement au poste qu’on lui attribue mais refuse totalement de s’y laisser embourber.
Continuer à décrire le propos de L’histrion est impossible. L’action l’élève au-delà du foisonnement, pour s’approcher du grouillement. Chaque chapitre ouvre de nouvelles perspectives, de nouveaux personnages, de nouveaux enchaînements de faits... Si on parvient à les suivre. Car les joutes politiques de dix systèmes stellaires qui oeuvrent tous pour tirer un morceau de la couverture stellaire à eux sont à la limite de la haute voltige. Parfois, on ne comprend rien ; d’autres fois, on pige, cent pages plus tard ! C’est ça, Ayerdahl.
Curieuses ressemblances
Dans la préface, l’auteur confesse son admiration sans borne pour Frank Herbert, le créateur de Dune. Même sans cette précision, il serait difficile de ne pas remarquer la ressemblance entre l’univers de L’histrion et celui qu’a décrit l’auteur américain dans sa saga culte. Entre les nombreuses maisons qui parsèment le roman, dont l’Empire surpuissant, les Taj Ramanes qui rappellent furieusement le Bene Geserit, les Nautes qui ont le même rôle que la Guilde spatiale et les Scientes qui évoquent le peuple constructeur d’Ix, on a l’impression que l’histrion va se révéler le nouveau Kwisatz Haderach. Si on ajoute à cela les têtes de chapitres qui se sont des citations d’un personnage du roman, les ressemblances entre les propos politiques et les univers mis en place, on peut se demander où s’arrête l’hommage et où commence le plagiat.
Mais si les similitudes s’accumulent dangereusement au début du roman, la scission se fait progressivement et L’histrion prend son indépendance intellectuelle.
Bilan
Ayerdhal nous livre donc un roman extrêmement complexe et foisonnant, semblable à un labyrinthe dans lequel il se plaît à nous perdre, pour ensuite nous reprendre par la main et nous conduire là où ne pensait pas aller. Les personnages principaux sont très forts, tels la créature-monde Genesis, démiurge discret et omniprésent, la parthène She-Seel, télépathe et (re)belle en diable, sans oublier l’incontrôlable Aimlin(e). L’écriture est, comme toujours, riche et inventive mais il est dommage que la foultitude des lieux et des personnages mis en place nuise à une compréhension claire de l’intrigue.
Néanmoins, ce livre est un bon cru. Les morceaux de bravoure succèdent avec brio aux moments de négoce politique et aux numéros de charme de la sexomorphe ou des Taj Ramanes. L’intrigue est alambiquée à souhait, encore plus que dans les autres Ayerdahl. On n’en sort qu’avec une seule envie : dévorer la suite, Sexomorphes, dans lequel Aimline part à la recherche de son identité.
Ayerdhal, L’histrion, 384 p., J’ai Lu