Sommeil de la raison (Le)
Ce très bon roman de Juan Miguel Aguilera nous plonge dans les temps troublés qui ont secoué l’Europe au début du XVIème siècle. Tandis que le vent nouveau de l’Humanisme souffle sur le continent, alimenté par les écrits ou les prises de positions d’individus tels qu’Erasme ou Copernic, le Moyen-Age n’est pas encore tout à fait éteint. Les sorciers, bien que pourchassés par l’Inquisition, sont encore nombreux et leur influence loin d’être négligeable. A tel point qu’un complot visant la personne du futur Empereur Charles Quint, qui fera bien des misères par la suite à François Ier, s’avère relever de la magie la plus noire. Le jeune souverain a en effet été choisi, bien à son insu, pour accueillir l’esprit d’une entité maléfique destinée à régner sur le monde durant un millénaire…
Luis Vives, l’un des deux personnages centraux de ce récit haletant, n’a aucune idée, quand le roman s’ouvre, de ce qui se trame en sourdine, ni du rôle qu’il aura à jouer dans les événements à venir. Il est tout entier occupé à la rédaction d’un traité consacré à l’âme, sur lequel il peine depuis plusieurs années déjà – traité qui l’amènera à effectuer un ensemble de découvertes qui feront de lui l’un des pères fondateurs de la psychologie moderne. Exilé malgré lui à Louvain, en pays bourguignon, il se voit soudain recruté par le confident du roi. Ce dernier lui demande de les accompagner en Espagne (le pays natal de Luis), à bord de la flotte somptueuse affrétée à cet effet. Il souhaite en effet le voir confirmer la folie de la mère du souverain, chose nécessaire à la prise de fonction effective de ce dernier – ainsi qu’à l’accomplissements de ses plans secrets.
L’autre personnage central de cette histoire, c’est Céleste, une jeune et modeste sorcière qui se retrouve du jour au lendemain contrainte, suite à une prophétie, à prendre la route. Elle rencontre bientôt Hieronymus Bosch, le célèbre peintre, juste avant que de mystérieux individus ne l’occissent en son atelier et ne manquent de peu d’en faire autant avec elle. Son chemin croise alors celui de Luis Vives, qu’elle accompagne jusqu’en terre ibérique afin de démêler les fils des manigances ourdies dans l’ombre par une engeance éprise de pouvoir.
L’univers que nous dépeint Juan Miguel Aguilera relève tout à la fois du domaine de l’Histoire et de celui du fantastique. Le « Annwn » - la dimension magique de l’Inframonde chère aux sorcières, issue de la mythologie celtique galloise - n’a rien ici d’une fantaisie, ni les esprits qui s’en échappent d’ailleurs. Quant aux décoctions et autres envoûtements concoctés par leurs soins, leur influence sur le monde que nous habitons est bien réelle. Foi chrétienne et panthéon païen s’affrontent avec virulence, dans un combat souterrain qui concerne tous les habitants de l’époque, des plus humbles jusqu’aux têtes couronnées.
La description de ce conflit est effectuée avec brio par l’auteur, qui n’oublie pas de creuser la psychologie de ses personnages, rendus très sympathiques. Comme dans tout bon roman, c’est le cœur un peu lourd que l’on referme le livre une fois terminé, contraint de dire adieu à ces créations auxquelles on a eu le temps de s’attacher, chemin faisant.
Du très bel ouvrage.
Juan Miguel Aguilera, Le Sommeil de la Raison, Traduction : Antoine Martin, Couverture : Jérôme Bosch, 576 p., Livre de poche