Shikasta

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Comme le rappelle l'introduction que Doris Lessing a écrite en 1978, quand ce roman est paru, le premier d'une série que son auteur voulait de science-fiction (et qui, à partir du troisième opus, en respectera vraiment les tropes et les règles), « le vieux roman réaliste se transforme également sous l'influence de ce que l'on appelle, de façon impropre, le roman d'anticipation ». Et cette transformation est déjà apparue, sans que ni l'auteur ni les critiques ne le remarquent, dans un roman publié comme de la littérature générale et dont le sujet et l'écriture sont très proches de ceux des romans de JG Ballard, John Brunner et Christopher Priest sur le même thème, socio-politique, l'évolution de la société britannique vers le socialisme et une éventuelle dictature. Seulement si les romans et nouvelles sur ce thème de ces trois auteurs et de nombreux autres ont affiché leur appartenance à la SF, Mémoires d'une survivante, de Doris Lessing, est paru sans étiquette et, comme il ne comportait aucune indication de lieu ou de date, et que les idées de pure SF comme l'hybride chat-chien n'étaient pas mises en avant pour l'inscrire dans le « genre », il a été reçu comme un roman de littérature générale. Alors que Doris Lessing a bati une grande partie de son œuvre sur des réflexions et spéculations et n'a jamais hésité à faire appel aux méthodes des dits « genres » (le fantastique dans Le cinquième enfant). Alors même que ce livre, nous le verrons plus loin, n'est pas vraiment de la SF, mais un livre transgenre qui mêle légendes, métaphysique et rationalité, que les observateurs extra-terrestres canopéens sont beaucoup moins « aliens » que le seront les Siriens des Expériences siriennes, encore non traduit, c'est en publiant ce livre que Doris Lessing fait son « coming out ». Un coming out que confirmerait, si cela était encore nécessaire, le fait que ses derniers romans soient deux anticipations lointaines, Mara et Dann et L'histoire du général Dann. Mais cette intégration des modes d'écriture, des sujets et règles de la SF, dans son œuvre, on peut aussi la voir souvent dans des œuvres publiées sans étiquette. Certaines nouvelles des Grands-mères, un recueil de nouvelles paru en 2013, font référence de manière à peine masquée à Shikasta....

 

Qu'est-ce donc que ce roman qui paraît en 1979 avec l'étiquette science-fiction ? Un curieux patchwork qui, présenté comme une suite de rapports d'observateurs extra-terrestres sur une colonisation ratée, mélange références bibliques, interventions sataniques (Satan étant ici représenté par l'empire stellaire rival de Shammat), et une dystopie fort analogue au Rat blanc, de Christopher Priest, ou à certains textes de la même époque de Ballard ou de Brunner...

 

Après l'évocation d'un âge d'or, d'une tentative de colonisation de la Planète 5, alors baptisée Rohanda, où cohabitaient des indigènes et des humanoïdes amenés de différentes autres colonies, parmi lesquels les Géants, mais aussi le Petit Peuple, le premier observateur fait mention de la rupture du lien entre Rohanda et Canopus et de la dégénérescence de cette colonie qui sera désormais appelée Shikasta, la blessée. Les efforts des envoyés de Canopus pour maintenir le respect des règles semblent tous passer par les descendants d'un certain David et on reconnaîtra, au nombre de ces tentatives, le pacte avec Abraham, la destruction de cités rebelles, la montée au ciel d'un prophète...

Mais, en partie à cause des interventions des ennemis venus de Shammat qui prennent plaisir à créer désordres et souffrance, le lien se rompt. Et nous arrivons aux Derniers Temps, ceux de la dégénérescence finale, de la disparition des démocraties, narrée par l'observateur Johor qui s'est incarné en George Sherban, par le frère et la sœur de cette incarnation, et divers autres personnages.

 

Ce récit à plusieurs voix est donc une fin du monde assez originale.

Parce que, malgré l'étiquette SF, Shikasta et le deuxième volume de la série, Mariages entre les zones Trois, Quatre et Cinq, pouvaient passer pour de la « littérature générale », le premier à cause de ses aspects légendaires et métaphysiques, le second comme une forme d'absurde à la Beckett ou à la Ionesco, ces deux romans ont été traduits et publiés au Seuil il y a longtemps. En revanche les trois autres romans, Les expériences siriennes, L'œuvre du représentant de la planète 8 et Les agents sentimentaux de l'Empire volyen, de pures réflexions spéculatives sur des planètes et des espèces variées, ne l'ont pas encore été.

J'attends avec impatience que La Volte achève son projet de traduction, car ces cinq romans méritent d'être appréciés par des non-anglophones.

 

Shikasta, de Doris Lessing, traduction de Paule Guivarc'h, La Volte, 2016, 475 p., couverture de Corinne Billon, 20€, ISBN 978-2-37049-029-2

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