Diamond dogs et Turquoise Days
Bonjour à toutes et tous.
Chronique littéraire aujourd’hui, avec un recueil d’Alastair Reynolds de 2006, composé de deux novelas, Diamond dogs suivi de Turquoise Days, qui s’inscrivent dans une œuvre plus vaste, Les inhibiteurs, que je n’ai pas encore fini de lire, à ma grande honte…
J’ai vraiment pris beaucoup de plaisir à ces deux récits, d’ailleurs imbriqués ; une simple phrase dans Turquoise Days rappelle l’enjeu même de Diamond Dogs. Reynolds marie vraiment bien dans ces deux novelas toutes les idées, les fantasmes de haute technologie qui caractérisent son œuvre et des récits prenant, distillant une attente perpétuelle de la page suivante, sans pour autant tomber dans une ambiance bassement thriller, artifice que je déteste particulièrement en SF, qui pour moi doit restée absolument basée sur des idées. J’y avais consacré une chronique…
Mais explorons de plus près ces deux textes.
Diamonds Dogs pour commencer, environ 150 pages, au format Poche.
Tout de suite, je me suis senti en terrain connu. La nouvelle s’inspire d’une grande tradition narrative, connu depuis l’antiquité jusqu’aux mauvais romans SF de gare, la retravaille et la revisite intelligemment. J’ai le souvenir d’avoir lu au moins une nouvelle approchant dans La Grande Anthologie de la Science Fiction.
Sur une planète lointaine, un édifice d’origine inconnue s’offre à qui veut bien tenter d’y pénétrer, plus précisément de franchir les innombrables salles, dont chaque porte donnant accès à la suivante s’ouvre à qui sait déchiffrer son énigme. La difficulté de l’épreuve intellectuelle augmentant avec les étages… Nous sommes là face aux héros défiant une épreuve, prêts à braver la mort pour la gloire, une récompense, un destin, un trésor fabuleux, etc. Preux chevalier face à un dragon, Capitaine Achab face à Moby Dick, Icare et le labyrinthe, la liste est longue. À laquelle on peut rajouter le film Cube, auquel Reynolds va jusqu’à faire allusion.
L’intérêt de son texte repose, à mon sentiment, sur trois axiomes principaux, en dehors de la grande qualité de l’écriture et de trouvailles narratives, dont je tairai la nature.
Tout d’abord, ce n’est pas un homme seul, voir un duo, qui tente de vaincre l’édifice, la Flèche, mais toute une équipe, soigneusement choisie par un commanditaire. Il s’agit là véritablement d’une entreprise, avec les rapports tendus, parfois obscurs, qu’entretiennent les membres entre eux. Certains abandonnent, certains meurent, certains même se suicident…
D’où une narration à surprises, mais pas là où on les attend. Ce n’est pas cette mystérieuse Flèche, somme toute attendue puisque s’inscrivant dans une longue tradition narrative, qui intrigue, qui fascine le lecteur. C’est l’équipe chargée de la vaincre. Et cela ne peut être un hasard…
Reynolds est un malin… Plutôt que de s’épuiser à imaginer une épreuve mystique et architecturale absolument novatrice en négligeant ses personnages, il a innové sur les participants à l’épreuve. Et du coup, forgé un monde cohérent, furieusement jusqu’au-boutiste.
Poussant sa logique narrative, Reynolds va jusqu’à ne pas nous donner la solution de La Flèche. Nous ne connaîtrons rien du contenu de la dernière salle, tout là-haut… Nous ne saurons même pas si l’un des membre de l’équipe réussi ! C’est osé, et très réussi…
Voilà donc son deuxième axiome, ne pas donner la clé de l’énigme. La Flèche restera pour nous lecteur une pure abstraction.
Par contre, nous connaîtrons le fin mot de l’histoire, du côté de l’équipe. Résolument, Reynolds choisit de nous révéler la nature humaine de ses personnages au détriment de l’énigme intellectuelle. C’est un vrai choix d’écrivain auquel je suis particulièrement sensible.
Troisième axiome essentiel pour moi dans le plaisir pris à la lecture de Diamond Dogs, l’intrusion de la technologie qui prend là une forme extrêmement contemporaine, absolument pas datée.
Dans une acceptation générale, la technologie, c’est l’outil ! Et bien pas chez Reynolds, du moins dans cette novela. Ici, la technologie, c’est le corps. Les outils, ce sont les organes refaits, repensés pour s’adapter à leur tâche d’exploration. L’équipe qui tente de remonter une à une les pièces composant La Flèche ne porte pas une ceinture bardée d’ustensiles en tous genres, mais s’impose une modification du corps.
Leurs outils sont internes, pas externes à leur personne.
Je n’en dis pas plus, mais encore une fois, Reynolds réfléchit à chaque détail de la narration, a de bonnes intuitions qu’il sait rendre troublantes par l’écriture.
Turquoise Days pour continuer, environ 120 pages, au format Poche.
Incontestablement, cette novela s’inspire du roman Solaris de Stanislas Lem, ou pour le moins du film de Tarkovski.
Mais là encore, Reynolds reconsidère le problème, sans vouloir d‘ailleurs forcément faire désespérément mieux que notre auteur polonais préféré ! Pour mémoire, Solaris a pour thème une planète composé d’un océan plus ou moins pensant, qui influe sur la psyché des cosmonautes en orbite…
Je ne vais pas vous raconter l’histoire de Turquoise days. Mais simplement tenter de comprendre la démarche narrative de l’auteur. Turquoise est donc une planète océan elle aussi, où une vie foisonnante et mouvante archive les pensées de tous les êtres vivants qui entrent en son contact, allant soit à influencer leur personnalité, soit plus rarement à les assimiler complètement… Mais impossible de savoir si Turquoise pense réellement…
A mon avis, Reynolds s’est posé une seule question d‘importance : que ce passerait-il si les cosmonautes descendaient à la surface de la planète au lieu de rester en orbite comme dans Solaris
À partir de là, il tient sa novela. Car alors, que feraient des humains, des extra-terrestres même à la surface d’un océan ? Encore une fois, la réponse est évidente. Ils nageraient dedans, ils chercheraient à explorer les fonds.
Et toute la narration de Turquoise Days découle de là ! De la relation distante de Solaris, nous passons à un contact physique entre l’individu humain et ce gigantesque réseau mental.
Il suffisait d’y penser…
Pour conclure, je n’ai pas retrouvé dans ce recueil de Reynolds ma difficulté de lecture du premier tome de son Cycle des Inhibiteurs. Je n’ai d’ailleurs pas encore lu la suite…
Ici, les deux histoires puisent plus directement dans le patrimoine de la SF, s’arc-boutant sur des structures de récits déjà existants. Et restent abordables, avec des enjeux immédiatement compréhensibles.
Par sa grâce technologique d‘une rare et noire poésie, Reynolds nous entraîne alors bien plus loin que ce nous pouvions imaginer avant de lire la première page. Là réside le talent de ce diable d‘astrophysicien.
Une fois le livre reposé, il me vient aussi une autre sensation. Je ne suis pas certain qu’elle soit exacte, mais il me semble que Reynolds dépasse le concept de peur. Pour lui, la technologie permet tout ; mais n’est pas quelque chose d’extérieure à l’espèce humaine, un bienfait ou une menace. C’en est une constituante définitive, comme la sexualité ou le besoin de respirer, de manger. Contrairement à certains romans apocalyptiques ou réalistes, Reynold n’écrit absolument pas de l’avenir possible. Il écrit pour moi d’abord une possibilité poétique, aussi lointaine que possible
Diamond Dogs, Turquoise Days par Alastair Reynolds, traduction de Sylvie Denis, illustration d’Alain Brion, Pocket