Vampire ordinaire (Un)

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Le titre original de ce roman - « The Vampire Tapestry » - constitue une bien meilleure trouvaille que la traduction qui en a été faite pour sa version française.

Certes, le personnage central du récit – Edward Weyland, professeur d’anthropologie dans une université de Nouvelle Angleterre - est un vampire qui désire passer incognito parmi nous les humains, son cheptel. Ceci afin d’échapper à ceux qu’il appelle « les paysans avec une torche » - les enragés toujours prêts à l’immoler par le feu. A lui faire chèrement payer sa position sacrilège au sommet de la chaîne alimentaire.

Pas de cape flottant au vent, donc. Pas de crocs acérés dépassant de lèvres vermillon. Pas de spectaculaires métamorphoses en chauve-souris, non plus. Tout juste un aiguillon sous la langue à l’aide duquel il suce le sang de ses victimes. Des proies qu’il ne tue pas forcément, d’ailleurs. Il s’arrange, quand il le peut, pour les plonger dans l’inconscience avant de s’abreuver. A leur réveil, elles se sentent seulement un peu flageolantes, un peu désorientées. Rien de bien grave en somme. L’absence de marques à la jugulaire, rendu possible par son mode d’alimentation peu intrusif, n’est pas de surcroît sans faciliter la tâche du professeur, qui parvient ainsi à garder relativement aisément son anonymat, seul garant de sa survie.


Non, si le titre donné à sa création par Suzy McKee Charnas est de loin préférable à son pendant français, c’est parce qu’il pointe du doigt les entrelacs narratifs successifs qui constituent la trame de cette remarquable tapisserie. Une œuvre d’art « pictural » composée de cinq tableaux quasi-indépendants, qui pourraient s’apparenter à des nouvelles s’ils n’étaient positionnés de manière chronologique et ne suivaient le parcours de Weyland avec obstination. Un cheminement qui débute avec son démasquage par une exilée sud-africaine, amatrice de chasse elle aussi, jusqu’à sa disparition de la circulation (qui n’est pas, dans son cas bien particulier, synonyme de trépas) suite à l’éventement de son identité d’emprunt.

La romancière va jusqu’à nommer la troisième partie de cette suite « La dame à la Licorne », en hommage probable aux six tapisseries du XVème siècle conservées au musée national du Moyen Âge, à Paris. Visiblement éprise d’art classique, elle construit la quatrième partie du roman autour de "La Tosca", de Giacomo Puccini. On assiste alors à une véritable chorégraphie sanglante, qui se déroule en synchronie avec le drame lyrique. Ces choix sont cohérents avec son propos, qui consiste à nous détailler le lent étiolement des défenses du vampire, chaque jour un peu plus sensible aux humains et à leurs créations. Chaque jour, par conséquent, un peu plus vulnérable à leurs assauts.


Edward est à sa connaissance le seul membre de son espèce, ce qui confère une dimension éminemment tragique au vampire. La seule personne qui parviendra réellement à l’atteindre dans sa solitude, à briser sa carapace de « vieil intellectuel acariâtre », sera la psychothérapeute chargée de lui délivrer un certificat de bonne santé mentale. Afin de récupérer son poste d’enseignant suite à son enlèvement par une secte l’utilisant comme une vulgaire attraction touristique - un spectacle pour individus en mal de sensations fortes, désireuses de donner leur sang à un vampire moribond -, il décide en effet de faire passer sa disparition sous le compte d’une dépression nerveuse. D’une névrose lui conférant la certitude qu’il n’est rien de moins qu’un vampire !

Floria, la thérapeute chargée de son cas, va cependant rapidement deviner la nature réelle du professeur Weyland. Son identité profonde. Après avoir un instant pensé rédiger un ouvrage sur ce cas digne de Sigmund Freud, elle va doucement développer des sentiments à son égard. Des sentiments coupables pour un docteur. Et le plus stupéfiant dans l’histoire, c’est que Weyland va lui aussi s’attacher à cette femme hors du commun, seule à même de l’aider à donner du sens du chaos intérieur qui le berce parfois.

N’en révélons pas davantage sur l’intrigue proprement dite de ce roman. Il serait faux d’affirmer qu’« Un Vampire ordinaire » révolutionne le genre qu’il aborde. Il excelle en revanche à dresser le portrait cohérent et sensible d’un individu ballotté à travers les âges, prédateur implacable mais néanmoins attachant, du fait de ses amitiés passagères, îlots de chaleur dans une mer de solitude éternelle.

Suzy McKee Charnas, Un Vampire ordinaire, Traduction : Patrick Berton, Couverture Jackie Paternoster, 414 p., Livre de Poche

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