Contrées du rêve (Les)

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"Nouvelle traduction de David Camus" insiste la couverture. Je n’ai pas poussé l’investigation à comparer les traductions de Papy (Denoël) ou de Paule Pérez (Bouquins, chez Robert Laffont), ces querelles m’important peu. L’essentiel est l’émerveillement que l’on ressent à la lecture de ces textes remarquables : il y est, cela me suffit. Le reste est pour les exégètes.

Le cycle des Contrées du Rêve est un cycle de transition dans l’oeuvre du Maître de Providence. Transition entre l’éblouissement dunsanyien et l’élaboration d’une oeuvre totalement personnelle avec le mythe de Cthulhu. Lovecraft avait en effet été fasciné par les civilisations imaginées par Lord Dunsany (1878-1956), par son style, par son amour des mots étranges et par sa création d’une mythologie propre. Cette fascination s’est incarnée dans ce que l’on nomme ses ’nouvelles dunsanyiennes’, dont l’édition Bouquins reprend huit textes. Ces nouvelles sont en effet indispensables dans la trajectoire de Lovecraft et son oeuvre ne peut se comprendre sans elles, qui portent en germe tout l’univers qu’il bâtira au fil d’un parcours extraordinaire.

Bouquins reprenait les nouvelles suivantes : Polaris, Le bateau blanc, La malédiction de Sarnath, L’arbre, Les chats d’Ulthar, Les autres dieux, Celephaïs et La Quête d’Iranon. La présente édition omet L’arbre, mais ajoute Hypnos, L’Etrange maison dans la brume et, in fine, Azatoth.

Peu importe, tous ces textes sont magnifiques et témoignent de cette admiration du jeune Lovecraft pour la beauté pure. Je ne suis pas loin de considérer que ces fameuses nouvelles ’dunsanyiennes’ sont parmi ses plus beaux récits, par leur sens d’évocation prodigieux. Si Lovecraft a pu être considéré comme un auteur de Fantasy, c’est à eux qu’il le doit. Tournant lentement les paysages imagés, il instille petit à petit la vision d’un autre univers, issu pourtant des merveilles aperçues,et qui deviendra le monde de Kadath.

Kadath ! Mot magique qui aujourd’hui encore fascine et fait trembler. Monde vers lequel son alter ego Randolph Carter va l’arpenter sans fin, pour le plus grand plaisir du lecteur. Le mot « Kadath » fascine, mot qui symbolise l’endroit mythique inaperçu et qui cristallise toutes les recherches folles de l’amateur de mystère imaginaire, au point d’avoir donné son nom à une revue toute aussi mythique.

C’est à la recherche de cette cité énigmatique que part Randolph Carter dans le roman The Dream-Quest of Unknown Kadath, traduit ici par « La Quête onirique de Kadath l’Inconnue », certainement le chef-d’oeuvre du Cycle. Cycle qui débute par un texte bref et horrible, Le Témoignage de Randolph Carter, fort célèbre, dans lequel Carter aura la certitude de l’existence d’autres êtres... Il entamera dès lors sa quête, en Haut-Rêveur, qui le mènera dans ces terres oniriques, en descendant les soixante-dix marches menant à la caverne de la flamme et à ses deux prêtres barbus. Et commence alors sa quête vers sa cité d’or entrevue. Quête qui le mènera, et le lecteur abasourdi avec lui, vers des endroits fabuleux. La Lune, par exemple, où il sera sauvé des bêtes lunaires par une fantastique armada de chats. Il sera aidé aussi, plus tard, par les ’maigres bêtes de la nuit’ ou par les goules dont son ancien ami Pickman (héros de la célèbre nouvelle Le modèle de Pickman, qui aurait pu être incluse, à propos) devenu goule lui-même. Carter embarque dès lors pour un voyage étonnant, contemplant le visage des dieux sur le rocher de Ngranek, rendant visite au Roi Kuranès, connu depuis Celephaïs, et qui, nostalgique du « Monde de l’Eveil », a reconstruit un petit port de l’ancienne Angleterre, très belle page d’un Lovecraft attaché à ses vieilles racines. Carter continuera son voyage vers Kadath, en passant par Inquanok, où il verra les descendants des dieux, passage sublime, puis par le terrifiant Plateau de Leng et son horreur glacée. C’est alors qu’enfin arrivé, il rencontrera Nyarlathotep, le Chaos rampant, qui lui révèlera sa destinée...

Tout cela est d’une maîtrise absolue et mérite une admiration totale, ’usque ad finem’.

Revenu sur Terre, Randolph Carter sera le héros des deux derniers textes du Cycle, nettement moins forts, il faut l’avouer, malgré un caractère autobiographique qui passionnera les lovecraftiens. En bref, Carter découvre une clé d’argent et ... disparaît. Dans le dernier titre, intitulé A travers les portes de la clef d’argent, l’on assiste à la ’succession’ de Carter, au travers d’un long discours d’un Indien qui explique ce qu’est devenu Carter après sa disparition. Tout cela ressort d’une métaphysique assez nébuleuse et semble très inutile. Tous les lovecraftiens le savent, d’ailleurs, et n’attachent pas beaucoup d’importance à ce texte.

Mais pour les nouvelles inaugurales et La Quête onirique, ce volume est indispensable. Lovecraft, certes influencé par Lord Dunsany, a réussi un essai incroyable : inventer un monde intégralement nouveau, créer une mythologie totalement originale, décrire des lieux fantastiques issus de ses propres rêves intérieurs, et faire rêver des millions de lecteurs émerveillés par tant d’invention. Lecteurs qui, aussi, seront sensibles au lent glissement vers la terreur absolue que recèlent ces textes : celle qui amènera les Grands Anciens du Cycle de Cthulhu. Mais avant cela, il faut arpenter les Contrées du Rêve, prélude obligatoire, effrayant et... merveilleux.

Howard Phillips LOVECRAFT : Les Contrées du Rêve, nouvelle traduction par David Camus, couverture de Nicolas Fructus, Editions Mnémos, 2010, 296 p., 21 €

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