Grendel
Rares sont ceux qui, en France, connaissent le nom de Grendel ou même celui de Beowulf mais ces deux noms, issus d’un des poèmes fondateurs de la culture anglaise, sont connus de la plupart des Anglo-Saxons, même si rares sont ceux qui ont lu le texte d’origine et encore plus rares ceux qui ont su l’apprécier.
Le roman de Gardner, sorti en 1971, a donc immédiatement trouvé, aux États-Unis comme en Grande-Bretagne, un large public, alors que sa première parution en France n’a pas provoqué de réaction. Cette reparution fera-t-elle mieux ? Le public de la fantasy est-il vraiment préparé à découvrir cet OLNI qu’est le court roman de John Gardner ? Ceux qui s’attendent à lire l’histoire de Beowulf raconté par son ennemi seront certainement déçus, car tel n’est pas du tout le sujet de ce roman dont les douze chapitres sont autant de réflexions de Grendel sur sa vie et sur le monde qu’il connait, en particulier le royaume et le palais de Hrotgar qu’il surveille, hante et dérange, heureux de narguer et menacer Hrotgar et son serviteur Unferth.
Et si, au dernier chaptre, apparaît enfin Beowulf, Grendel, qui s’était cru invincible, sera surpris, presque avec plaisir, de sa défaite et de quitter un monde qui lui était devenu une prison d’ennui. Ce n’est pas une réponse ou une réécriture du mythe, c’est un petit conte philosophique presque totalement séparé de la saga classique...
Mais nous suivons le regard de Grendel sur le monde des Danois, sur les chants du Barde, sur la reine Wealtheow, regard cruel et vengeur de celui qui n’a rien à aimer, et nous entendons ses plaintes répétées contre la cruauté du monde, à laquelle répond la cruauté et le désir de vengeance de l’ogre solitaire qui n’a, comme seule consolation de son existence, que la possibilité de détruire et de semer la crainte. Et qui n’ira pas jusqu’au bout, car s’il tuait Hrothgar ou Unferth, que lui resterait-il à faire, n’ayant plus d’ennemi à tourmenter ?
John Gardner, spécialiste des littératures médiévales, a aussi écrit études ou mises en anglais moderne d’autres contes et sagas. Mais Grendel reste son oeuvre majeure, celle qui n’est pas une simple continuation des oeuvres existantes. Et qui constitue déjà un classique de la fantasy moderne.
Grendel de John Gardner, traduit par René Dailly, Lunes d’encre, 184p, couv. Lasth, 17€, ISBN 978-2-20710908-3