Chose en soi (La)

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Ma première réaction à la lecture de ce livre a été négative, parce que j’ai cru, comme c’est arrivé dans d’autres livres, qu’il prétendait démontrer les idées de Kant par une « expérience de pensée », expression qui, hélas, désigne souvent une escroquerie, présenter comme expérimental un résultat imaginaire et comme une expérience scientifique le simple développement dans un roman de convictions non réellement étayées par une expérience réelle. Puis il m’est apparu qu’il s’agissait, d’abord, d’une expérience littéraire : mettre en scène ces idées dans un roman dont les personnages et les péripéties du scénario n’ont pas de valeur expérimentale, comme dans un roman steampunk basé sur les théories scientifiques du dix-neuvième siècle.

 

Comme le montre d’ailleurs la postface de l’auteur, il a très bien réalisé une œuvre littéraire qui met en scène non seulement les conceptions kantiennes, mais aussi un grand nombre de références littéraires, souvent explicites, et il échappe au rejet que m’ont inspiré d’autres romans et nouvelles qui prétendraient démontrer les idées exposées...

 

Ajoutons que l’expérience imaginée, la remise en cause des limitations de la perception et de la connaissance du monde par une IA qui échapperait à ces limitations, me paraît fausse dès le départ : en quoi aucune IA créée par l’homme serait-elle plus performante qu’un autre outil, un simple marteau, quand dans tous les cas ce seront des humains qui, après l’avoir créée, en recevront les résultats ? Il faut donc prendre ce roman pour ce qu’il est, une expérience littéraire, non une expérience scientifique, et saluer le talent de l’auteur pour y mêler des sources nombreuses, tant de « littérature générale » que de science-fiction, que je n’énumérerai pas (d’autant plus que j’en ai probablement raté certaines)...

 

À travers l’histoire du héros dont la réalité est perturbée par des expériences fantastiques à cause d’un ami qui aurait « résolu le paradoxe de Fermi » à partir des théories kantiennes sur le « Ding an sich » et un certain nombre d’histoires annexes, inspirées d’œuvres littéraires, sur le même thème général de l’irruption de l’imaginaire dans la « réalité » perçue, le roman imagine que la réponse à la question fondamentale sur la perception du monde puisse être résolue... mais en fait seulement par les héros d’un roman, pour lesquels intervient la volonté de l’auteur...

 

Le roman constitue donc une expérience de pensée, comme toute fiction. Ce qui, quand il conclut à l’existence de Dieu, prouve que l’auteur du livre est le Dieu du livre. Pour le lecteur, la question reste posée, et aussi irrésolue à la fin du roman qu’à son début. Le roman constitue donc une expérience de pensée... comme toute fiction... et une curieuse expérience de lecture, parfois rendue assez confuse par l’auteur...

 

La chose en soi d’Adam Roberts, traduit par Sébastien Guillot, Folio SF n°704, 2022, 505 p., couverture d’Aurélien Police, F9, ISBN 978-2-072-97195-2