Morgane Pendragon

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Les « romans arthuriens » sont, depuis le siècle dernier, l’objet de reprises, de réflexions et parfois de réécritures multiples et si la plupart de ces réécritures ont essayé de se conformer aux « canons » établis au Moyen-âge, entre Geoffroy de Monmouth, Thomas Mallory et Chrétien de Troyes, en gros respectés par T. E. White, Mary Stewart, Stephen Lawhead ou Marion Zimmer Bradley, entre autres, deux livres français récents envisagent des modifications complètes de la chronologie « classique » et mettent au centre du récit Morgane, « Morgane la fée » et demi-sœur d’Arthur dans la version courante.

 

Je ne suivrai pas la série entamée par une romancière « historique » dont j’ai exécré le début, mais le roman de Jean-Laurent del Soccoro, centré lui aussi sur Morgane, chamboule profondément tant les attributions des personnages que l’époque supposée des récits.

Pour l’époque, ce roman décale d’un siècle la période supposée du règne d’Uther et place l’épisode de l’épée dans la pierre au début du septième siècle, quand les romans « classiques » le placent au sixième siècle. Cela permet de faire coïncider le roman avec les débuts de la christianisation de l’île et de faire de cette christianisation, et de la disparition des rites celtiques, l’un des thèmes du roman.

N’oublions pas, bien sûr, que les romans anciens introduisent sans justification d’une part le christianisme religion établie, d’autre part les codes de chevalerie créés bien après l’époque où sont supposés se dérouler les récits... Alors le roman de Jean-Laurent del Soccoro est finalement moins anachronique que ceux qui l’ont précédé.

 

Mais ce sont surtout les différentes généalogies et origines géographiques des personnages qui sont profondément modifiées. Morgane serait fille d’Uther, et Arthur de Gorlois, nombre d’autres personnages sont également déplacés.

 

Je ne sais pas si la situation politique des différents royaumes qui se partagent les îles britanniques et la Bretagne continentale a une base historique réelle ou s’il s’agit seulement de bâtir un cadre cohérent au roman. De même, je ne sais pas d’où viendrait le double pouvoir (Roi ou Reine et Épées) séparant politique et armée sur lequel s’appuie le roman. Mais cela permet de présenter autour de Morgane et Arthur, personnages principaux, une grande partie des héros des « romans de Bretagne ».

Dans ce cadre imaginaire, que Morgane tire l’épée de la pierre, alors que Merlin espérait que ce serait Arthur et que, dans un pays où des femmes peuvent être chevaliers (Épée) ou Reine, elle puisse, non sans une guerre contre ses principaux rivaux, devenir Reine de Logres et suzeraine des autres royaumes est parfaitement possible. La plus grande partie du roman nous raconte donc l’accession au pouvoir de Morgane et l’établissement de son royaume, y compris le retour des anciennes fééries, avec les difficultés que leur cohabitation avec les humains peuvent produire. Mais le problème majeur, celui de la cohabitation avec les chrétiens, envisagée jusqu’à la mort d’Augustin, impossible avec son successeur, entraînera la guerre qui mettra fin à son espoir.

 

Pour bien montrer cet espoir, et son échec, il aurait peut-être fallu ne pas passer aussi brutalement que le fait le roman des débuts du royaume de Morgan, de 601 à 603, à sa chute en 618 (dates imaginées par Jean-Laurent del Soccoro), mais prévoir quelques chapitres sur la période intermédiaire. Cela aurait également permis de développer les idées d’égalité des sexes qui sont un des thèmes du roman. Mais le roman ouvre des possibilités intéressantes de réflexion sur ses thèmes. Réflexions qu’enrichira la lecture des sources rappelées par l’auteur dans les dernières pages du livre.

 

Morgane Pendragon, par Jean-Laurent del Soccoro, Albin Michel Imaginaire, 2023, 356 pages, couverture de Didier Graffet, 22,9€, ISBN 978-2-226-47969-3

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