Aucune femme au monde
Cette novella, No Woman born, date de 1944 et, d’une certaine manière, préfigure le thème de la femme-cyborg que proposera Donna Haraway plusieurs décennies plus tard. Deirdre est une actrice qui a été gravement brûlée, défigurée, dans l’incendie d’une salle de spectacle. Mais un technicien, Maltzer, a réussi à sauver son cerveau et à l’installer dans une machine d’apparence humaine, puis à lui apprendre à l’utiliser et Deirdre va aller bien au-delà des attentes de Maltzer. C’est l’ancien imprésario de Deirdre, John Harris, qui raconte comment celle-ci va, malgré l’opposition de Maltzer, réussir à remonter sur la scène, plus humaine que jamais... Ou, comme le dit Harris, contaminée par le métal ?
Sur le plan scientifique, il y a au moins un problème, celui de la présence d’une part de la mémoire, et probablement de la personnalité, dans le reste du corps, aujourd’hui établie par les recherches. Mais ce n’est pas le sujet de l’histoire.
Sur le plan psychologique, il y a aussi le problème de l’« uncanny valley », de la réaction de rejet des machines à aspect humain. Mais là encore, remplacer la machine par une construction hybride, un cyborg, permet de rendre le problème secondaire.
La question posée par ce texte, c’est celle de savoir dans quelle mesure l’humain sera affecté par les nouvelles possibilités que lui offre son corps, en remplacement, il est vrai, d’un certain nombre de capacités disparues (dans la nouvelle : le goût, l’odorat, le toucher).
Et une autre question, non exprimée, c’est aussi le fait que Deirdre passe du statut de femme ordinaire, soumise aux attentes des hommes, ici son imprésario et le technicien qui joue le rôle de médecin, à la liberté absolue... Cela n’est pas dit, mais ce texte, comme souvent chez C. L. Moore, est féministe...
Encore une petite merveille exhumée par Le Passager Clandestin, à ne pas manquer.
Aucune femme au monde, de Catherine Lucille Moore, traduit par Arlette Rosenblum, revue par Dominique Bellec, Le Passager clandestin, coll. Dyschroniques, 2021, 139 p., couverture Yanni Panajatopoulos, 9€, ISBN 978-2-96835-100-9