Galaxies Nouvelle Série n° 39

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La science-fiction japonaise ne m’a jamais passionné outre mesure, pas plus, a fortiori, que l’univers des mangas. C’est dire que je n’abordais pas ce numéro avec le plus fol enthousiasme. Mal m’en prit : voilà l’un des meilleurs numéros de Galaxies Nouvelle Série ! Comme quoi... Voyons cela de près.

 

Les cinq nouvelles liminaires sont toutes d’un niveau excellent. La première démarre fort, si j’ose dire : comment courir le 100 mètres en moins d’une seconde ? Et je vous jure, c’est crédible (-0,96 de Sylvain Lanur) ! Nous découvrons ensuite, grâce au rédacteur en chef Patrice Lavoye, un écrivain arménien, Karen A. Simonian, qui, en six pages, nous mène dans une étonnante taverne, celle de nos rêves. Jean-Louis Trudel, lui, toujours en six pages, invente des pubs par tatouages (Celle que j’abrite). Un peu comme dans la saga de Rama d’Arthur C. Clarke, Jean-Pierre Laigle, dans Le spectre de Vulcain, imagine un extra-terrestre incompréhensible qui aborde un gardien solitaire dans la ceinture des astéroïdes. Enfin, Liz Coleman nous touche par un texte sensible (Attachement), dont le thème n’est pas sans évoquer le merveilleux film Enemy Mine de Wolfgang Petersen (1985) : un humain se transforme par empathie envers des extraterrestres sur les satellites de Mars, au point de porter leur enfant. Et – ce qui est rare – la fin est résolument optimiste. Cinq superbes nouvelles.

 

Le dossier « Spécial Japon », concocté par Denis Tallendier, se divise en deux parties. Trois articles de théorie d’abord : les tubes japonais (Godzilla, La submersion du Japon, Akira), ou l’imaginaire de la catastrophe, comme le titre joliment Tallendier. Il couvre ensuite l’œuvre de deux grands écrivains des années 2000, Itô Keikaku, et Ueda Sayrui. Tony Sanchez et Julien Bouvard s’étendent sur les adaptations de romans (la « light novel »), puis sur la généalogie des mangas, des origines à 1979. Suivent alors deux magnifiques nouvelles, écrites précisément par les deux auteurs étudiés auparavant. Ichtyonaus, Therionaus de Ueda Sayuri (2009), se déroule dans un monde post-cataclysmique marin, que l’écrivain développera plus tard dans la saga des Chroniques de l’océan. L’humanité survit sur des îles-navires entre les rares terres émergées. Mais elle a changé : chaque femme donne naissance en même temps à un homme et... à un poisson. Plus tard, ces « jumeaux » veulent se retrouver, en mer ou sur terre. Remarquable. La machine à indifférence, longue nouvelle d’Itô Keikaku, est plus tragique, plus réaliste surtout. Dans les tribus ennemies Hoas et Xemas, le lecteur reconnaîtra vite les Hutus et les Tutsis : nous voici dans une Afrique féroce, déchirée entre tribus et gangs. L’auteur suit le destin d’Entswa, tueur d’amis et d’ennemis, enfant-soldat ballotté entre mille factions. La haine est sa seule raison de vivre. Qu’importe alors cette machine des Blancs, qui vise à gommer les différences et à « mettre un point final à la guerre » ? La fin est horrible.

 

Troisième et dernière partie de ce numéro exceptionnel : tout simplement, les rubriques habituelles, solides. La critique musicale de Jean-Michel Calvez s’interroge aujourd’hui sur le plus fameux groupe de musique électronique de ces magiques années 1970 : Tangerine Dream. Un petit détour par un musée « Star Wars » situé à... l’île Saint-Martin (Caraïbes), puis par un roman oublié de Georges Lebas, Jean Arlog, le premier surhomme (1921), pour arriver dans les notes de lectures de Pierre Stolze. Ce bel expert nous parle des Aventures de Stellablabla, petits livres de SF pour moins de quatre ans (!). Puis d’une uchronie pour ados, La Bible ne fait pas le moine, de Christine Renaudin, où il est question du pape Benoît XIV, et surtout de son infâme successeur Urbain IX, qui veut convertir le monde entier au catholicisme. Les gardes rêves de Raymond Iss n’ont pas l’air mal non plus, recueil de 32 nouvelles « fantastiques, horrifiques ou surréalisantes ». Enfin, Georges Bormand nous parle de quelques romans non encore traduits d’Hal Clement, Alain Dartevelle, des derniers strips, et le n° se clôture par un appel pour l’Eurocon 2018 à Amiens (NEMO 2018).

 

Je ne peux que terminer en citant les mots même de l’éditorial de Pierre Gévart : « Un très beau numéro donc, très riche, passionnant aussi bien dans ses fictions que dans ses articles de fond ». Je pense partager entièrement son avis !

 

Galaxies Nouvelle Série n° 39, Spécial Japon, illustration de couverture de Pierre Le Pivain, 192 p., 11 euros.

 

www.galaxies-sf.com       

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Commentaires

Ah, la littérature japonaise ! À chaque fois que je pense avoir fait le tour, je suis agréablement surpris par ses richesses inexplorées. Comme l’auteur de cet article, je dois admettre que j'étais autrefois réticent à plonger dans le monde fascinant des mangas et de la science-fiction japonaise. Pourtant, cet article m'a convaincu du contraire et m'a rappelé qu'il est essentiel de garder l'esprit ouvert. Les nouvelles mentionnées semblent brillantes, mélangeant le réalisme à l'imaginaire, tout comme le fait la culture japonaise elle-même.

Le dossier « Spécial Japon » semble être une mine d'or pour ceux qui souhaitent en savoir plus sur la richesse de la littérature et de la culture nippone. Les adaptations, l’histoire des mangas et les approches novatrices des auteurs contemporains sont autant de domaines que j'ai hâte d'explorer davantage. Et cette approche du "Japon post-cataclysmique" évoqué par Ueda Sayuri me rappelle un peu l'atmosphère unique que l'on peut retrouver dans certains designs vestimentaires japonais. Une manière subtile de fusionner tradition et modernité.

Merci pour cette découverte, je vais immédiatement me procurer ce numéro de Galaxies Nouvelle Série. Une véritable invitation à élargir nos horizons littéraires ! Bravo pour cet article complet et éclairant. Vive la diversité culturelle !