Agonie de la lumière (L’)
C'est un livre que je viens de relire à l'occasion de sa reparution et je vais séparer cette recension en deux parties : une présentation générale du livre et une appréciation très personnelle.
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Ce roman se passe dans un lointain futur et sur une planète très particulière : Worlorn est une planète errante qui vient de passer quelques années à proximité de soleils multiples, la Roue de feu, et qui est en train de s'en écarter. Les mondes habités voisins ont utilisé cette planète, terraformée pour les besoins de la chose, pour un long Festival aujourd'hui terminé, et il ne reste plus sur la planète qui, pendant quelque temps, reste habitable à l'abri d'un champ de force, que quelques attardés. Parmi eux, une écologiste, Gwen, mariée à un noble venu d'une des planètes organisatrices, Haut Kavallaar.
Ancien amoureux de Gwen, Dirk t'Larien reçoit ce qu'il croit être un appel de celle-ci à la rejoindre sur Worlorn pour l'arracher à la culture féodale dont elle serait prisonnière. C'est ainsi, qu’arrivé sur Worlorn et, plus particulièrement, dans la ville créée par les Kavalars, que le collaborateur de Gwen, un Kimissi nommé Arkin Ruark, lui présentera la chose. Mais il s'agit d'une tromperie et, quand Dirk découvrira la vérité, il sera beaucoup trop tard. Tombé dans le piège des codes anciens des Kavalars, il doit lutter pour survivre et pour défendre Gwen et son mari Jaan... Dans le décor baroque d'un monde en train de mourir se joue une tragédie qui est digne du Trône de fer, bien que ce roman soit, en fait, le premier publié par G. R. R. Martin.
Et c'est d'abord le chemin initiatique de Dirk qui va, lentement, comprendre la cohérence et accepter les codes kavalars. Paradoxalement ce roman nous montre comment un « civilisé » moderne va devoir s'adapter à un code « barbare » pour conserver son propre respect. On peut ne pas accepter cette validation du dit code, d'autant plus que les recherches historiques de Jaan en donnent l'explication par des circonstances historiques périmées, mais c'est bien de l'acceptation par un homme « moderne » du code héroïque et féodal des anciens kavalars que traite le roman.
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Un détail qui, à mes yeux, affecte gravement le roman : que, dès le départ, celui qui s'avérera traitre et manipulateur soit décrit comme le représentant d'une culture de traitres donne, à mes yeux, un relent de racisme. Un cas particulier ne saurait servir de confirmation d'un jugement général mais il est bien présenté comme la preuve, en l'absence d'exception, de l'opinion générale sur sa culture. Dans cette sous-intrigue, nous sommes dans la situation d'une anti-affaire Dreyfus où la culpabilité de l'accusé prouverait la validité de l'antisémitisme.
Alors même que, parmi les Kavalars, Jaan fait figure d'exception au point d'être renié par ses compatriotes. Et que le fait que Dirk en vienne progressivement à assimiler le code ancien au point d'accepter, dans l'épilogue, le défi qu'il fuyait précedemment, s'oppose de manière dérangeante au fait que Jaan, lui, montre son adaptation au monde moderne jusqu'au point de renier le dit code. Lequel exprime les idées de G.R.R. Martin ? L'écriture puis le succès du Trône de Fer semblent donner la réponse que je préfèrerais ne pas avoir.
Ceci étant ce roman est techniquement remarquable, tant par le cadre décrit que par la présence d'au moins trois personnages travaillés : le héros, Gwen et Jaan – les autres personnages sont plus archétypaux et parfois caricaturaux.
C'est un roman qu'on peut ne pas aimer – et j'ai moi-même certains motifs pour cela – mais dont la qualité est certaine. C'est la deuxième fois que je le lis et cette qualité m'avait échappé en première lecture : je ne regrette pas de l'avoir relu. Malgré la justification, en profondeur, des réticences que j'avais à l'apprécier et de mon refus de l'aimer.
Je ne partage pas certaines idées sous-jacentes de l'auteur ou du roman, j'ai plus ou moins apprécié les autres œuvres que j'ai lues de Martin, mais son talent est incontestable.
L'agonie de la lumière par George R.R. Martin, traduction de Jean-Pierre Pugi, J'ai Lu n° 10638, 2014, 443 p., 8€, ISBN 978-2-290-07572-2
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