Mon ami, Alain le Bussy
C’était à Redu. Il s’y tenait une convention de SF francophone et je fis alors la connaissance de Serge Delsemme, Claude Dumont, Alain Dartevelle et... Alain le Bussy. La crème de la SF belge, l’élite du fandom.
Oh, je connaissais le Bussy depuis longtemps, par lecture de son fanzine XUENSé interposé. Mais le voir m’avait impressionné. C’est vrai qu’il était impressionnant, le bougre, avec sa barbe imposante, sa veste négligée, son jeans délavé et ses cigares mâchouillés. Le plus important ? Ce regard malicieux juché au-dessus de lunettes perchées à l’extrémité de son nez. Regard qui vous perçait en souriant. Rencontrer ainsi tout de go un monstre du fandom belge, l’auteur de dizaines de romans non publiés cachés dans ses tiroirs, c’était quelque chose, croyez-moi. Mais, très simple, il me parlait, attablé avec ses copains, et je me sentis tout de suite ’intégré’, moi qui à l’époque ne connaissait quasiment personne du ’petit monde de la SF’. Et on a discuté, longtemps. Et ces discussions ont continué, bien après Redu.
Il a enfin pu publier les trésors de ses tiroirs et j’ai critiqué immédiatement, et avec enthousiasme, Deltas qui fut son premier grand succès commercial et obtint le si convoité Prix Rosny. Dorénavant lancé, il fut enfin reconnu pour ce qu’il était déjà pour nous : le plus prolifique et doué écrivain de l’Imaginaire belge francophone.
Si la science-fiction était le domaine qu’il arpentait avec le plus de familiarité, la fantasy et le fantastique ne le laissaient pas indifférent. Alain le Bussy était aussi l’ambassadeur du fandom dans le monde francophone. Editant son XUENSé depuis toujours, il connaissait toutes les arcanes de cet univers particulier et avait tissé, grâce à lui, un réseau de relations fabuleux. La SF américaine est née de fanzines et de revues, il a recréé cette toile en Belgique et en France, puis plus loin encore. On le voyait partout, même aux conventions mondiales (comme à Glasgow, où il reçut une distinction prestigieuse), où, parfois tout seul, il représentait fièrement la SF de notre langue.
Alain, c’était « Monsieur Science-Fiction », incontestablement.
Par deux fois, il organisa, chez lui, à Esneux, la convention francophone et s’apprêtait à coordonner celle de 2011. On l’appelait, on le demandait partout, pour des conférences ou des débats. Je me souviens ainsi, d’une convention à Anvers, où nous avions, Alain et moi, participé à un débat sur les revues SF, lui me traduisant les questions du public anglophone et moi retraduisant les réponses en néerlandais qu’il retraduisait en français puis en anglais : après deux heures, nous étions épuisés ! Alain, était également un fou de Bob Morane et il a écrit de nombreux et brillants pastiches du cher Commandant d’Henri Vernes, avec moult clins d’yeux à ses amis (dont moi). Inside jokes peut-être, mais qui témoignaient de son esprit toujours vif et pétillant, comme ce regard au-dessus de ses lunettes qui m’avait si fort frappé lors de notre première rencontre.
Alain, je l’ai vu encore à Huy, à Louvain ou à Saint-Gilles, lors de ce Festival des littératures de l’Imaginaire que Phénix organisa de 1999 à 2003, conjointement avec La Maison du Livre, en parallèle avec le Festival du Film fantastique, et qui rassembla la crème de la SF actuelle francophone ou étrangère.
J’ai commenté récemment encore de superbes ouvrages tels Chercheau, Jouvence ou La Marque. Car l’inspiration d’Alain était inépuisable et ses tiroirs, toujours eux, doivent encore receler des trésors. Oui, sa légende était vraie, il était l’homme qui écrivait plus vite que son ombre. Et toujours en un français impeccable, car son souci cadrait le fond autant que la forme. Alain le Bussy fut un grand et bel écrivain de notre belge contrée et nous pouvons être fier de son immense production, qui a réjoui un public vite conquis par sa verve, son sens de l’intrigue (il insistait sur l’importance d’une ’bonne histoire’ avant tout), et son coup d’oeil malicieux sur les petits travers de notre société.
Comme les Bob Morane d’Henri Vernes, ses oeuvres ont parfois comme un petit côté didactique qu’il serait vain de négliger.
Enfin, Alain était un homme remarquable. Longtemps directeur des ressources humaines d’une grande entreprise wallonne, il possédait ce sens imparable de la connaissance de ses contemporains, ce qui l’a évidemment aidé pour parfaire la psychologie de ses héros de papier. Mais ce sens, il le mettait également au service de ses amis, ce que j’ai pu expérimenter lors d’un moment particulier de ma propre vie : je ne pourrai jamais assez l’en remercier. Alain, c’était tout cela, un fanzineur, un contact, un écrivain, un conférencier, un ami, un véritable « honnête homme » au sens du XVIIIème siècle, celui des Lumières.
Heureux notre temps qui a connu un tel personnage. Alain, merci pour tout ce que tu fus pour nous tous. De ce jour lointain à Redu jusqu’à ce douloureux 14 octobre 2010, je te redis mon admiration et mon affection.
Peux-tu nous écrire de l’au-delà ?
Commentaires
La dernière bière
Bonjour,
Moi, j’ai un peu connu Alain et l’ai rencontré lors de diverses conventions et festivals. Peut-être est-ce grâce à lui que j’ai rencontré l’amour de ma vie : Ketty Steward. Nous lui avons rendu visite ensemble chez lui, dans sa maison, à Esneux et il nous avait offert un magnifique repas ! Quelques jours plus tard, il m’a envoyé une nouvelle qu’il m’a en quelque sorte dédiée : une histoire de pierre planquée que je n’ai pas particulièrement appréciée... Mauvais jeu de mot. Je la publierai peut-être un jour... Tout ceci pour dire que personne n’est à l’abri d’une maladresse. Je me suis opposé à lui lorsqu’il a pris la suite de la direction d’INFINI. Mais je n’ai jamais mis en doute ses qualités d’écrivain, particulièrement dans le domaine de la nouvelle fantastique. En revanche, le roman "Deltas" m’avait profondément déçu. De même toute la suite, loghorrée publiée par les éditions EONS. On pourrait longtemps débattre sur l’intérêt pour un écrivain de s’investir dans le fandom. C’est un choix qu’Alain le Bussy avait fait. Dans l’ensemble, il s’en est plutôt bien tiré.
Merci.
JPP