BERTHELOT Francis 01

Auteur / Scénariste: 


Dites-nous quelque chose à ton propos ? Qui es-tu ?

Je suis un auteur de l’Imaginaire. J’ai fait mes débuts en 1980 dans la science-fiction. Dix ans et quatre romans plus tard, je suis passé en littérature générale où j’ai encore publié 4 romans. Ayant fait la synthèse de tout cela, j’ai constaté que ma place était plutôt dans les littératures de l’Imaginaire et y suis donc revenu. J’y ai écrit ce qu’on peut appeler du réalisme magique, de la dark fantasy ou du merveilleux noir.

Comment en es-tu venu à l’écriture ?

J’ai toujours eu envie d’écrire. Quand j’avais 12 ans, je lisais des romans d’auteurs disparus depuis des siècles. Je me disais qu’ils m’offraient un cadeau somptueux, et qu’il serait juste, à mon tour, d’en faire un semblable aux lecteurs qui viendraient au monde après ma mort. C’est la forme qu’a prise chez moi le rêve de la paternité.

La narration a été mon premier moyen d’expression. Par la suite, j’en ai exploré d’autres, en particulier la chanson, la poésie et le théâtre… Au bout du compte, j’ai décidé de m’orienter vers l’écriture romanesque

Comme je lisais beaucoup de science-fiction et que, par ailleurs, j’avais un métier scientifique, j’ai commencé par la science-fiction. Mais dès le début, je n’ai mis que très peu de science dans mes textes. C’est davantage la transgression du réel qui m’intéresse que le côté scientifique lui-même.

A quel âge as-tu commencé à écrire ?

J’ai commencé à écrire à l’adolescence mais mon premier roman est paru en 1980. J’avais 34 ans ; j’étais donc un vieux « jeune auteur ».

Te souviens-tu de tes premiers textes ? Que sont-ils devenus ?

J’ai gardé tout ce que j’ai écrit. En particulier un manuscrit datant de 1977, un opus 0 jamais publié. C’est le premier roman que j’ai soumis à des éditeurs. Tous l’ont refusé mais trois d’entre eux m’ont envoyé un mot, disant que le roman avait des défauts mais que l’auteur les intéressait. Ils m’ont donc demandé de leur apporter le deuxième. Ce que j’ai fait. Robert Louit m’a ainsi publié « La Lune noire d’Orion » chez Calmann-Levy.

Mes autres textes, je les ai aussi conservés ; j’ai utilisé, par exemple, certaines chansons dans « Hadès Palace ». Je les ai un petit peu remaniées et les ai intégrées à ce roman, en les attribuant à l’un des personnages – un barde. J’ai aussi le projet de reprendre un jour mon tout premier roman, l’opus 0. Je ne l’ai pas relu depuis sa rédaction mais, ayant une approche moins naïve qu’à l’époque, je lui devine énormément de défauts !

Comment écris-tu ? Est-ce une profession pour toi ?

Une profession, oui – sauf que je n’ai jamais compté sur mes romans pour me nourrir. En 1971, je suis rentré au CNRS, comme chercheur en biologie moléculaire. En 1989, j’ai changé de département et suis passé dans les sciences humaines où mes recherches ont porté sur la théorie littéraire. Et cela jusqu’en 2007, année où j’ai pris ma retraite.

Pourquoi ce changement ?

J’ai décidé de changer de département parce que mes deux engagements, importants tous les deux, n’étaient pas compatibles. Devant choisir entre les éprouvettes et le clavier, j’ai opté pour le clavier. Les recherches théoriques sur la littérature m’ont beaucoup intéressé, parce qu’elles m’ont permis de traiter certains problèmes se posant à moi en tant qu’écrivain ; inversément, mon travail d’écrivain soulevait des questions qui méritaient d’être approfondies sur le plan théorique. Cela a été une période très productive, très riche dans ma vie.


Pourquoi l’écriture ?

Ce n’est pas moi qui ai choisi l’écriture, mais elle qui m’a choisi. Je ne pense pas que des domaines tels que la musique, l’écriture ou la peinture soient des choses que l’on puisse choisir ; on est appelé par elles. Ainsi, même si la musique compte beaucoup pour moi, je n’y ai pas autant de dons qu’en écriture. Le solfège m’a toujours rebuté alors que les mots me venaient naturellement.

Parfois, on peut être appelé par plusieurs de ces disciplines, comme le sont certains artistes particulièrement doués. J’ai une passion pour la musique russe, l’opéra et le ballet russes. Mais si j’ai fait de la musique en amateur, je n’aurais jamais pu entreprendre une carrière de musicien.

Tu as fait des études scientifiques, cela t’a-t-il aidé à écrire de la SF ?

Les études scientifiques m’ont aidé à avoir une certaine rigueur intellectuelle pour la construction dramatique ; mais cela n’a pas spécialement joué pour la science-fiction, puisque je ne me suis jamais servi de mon expérience scientifique ; si ce n’est dans mon opus 0, où apparaissaient certaines de mes activités biologiques.

En fait, j’ai suffisamment pratiqué la vraie science pour ne pas m’intéresser à une fausse science. La littérature m’intéressait au contraire car elle me permettait ce que m’interdisait le discours scientifique : tout ce qui est expression du corps, de la psychologie, de l’inconscient, et bien sûr la poésie.

Ton œuvre semble étroitement liée à ta vie, cela te paraît-il naturel d’associer réel et imaginaire ?

Tout à fait. Je ne connais pas vraiment la frontière entre les deux. D’un côté, il y a la réalité que l’on vit tous les jours ; de l’autre, la part de rêve qu’on y rajoute constamment. Je pars d’éléments de ma vie, que je transpose et auxquels j’ajoute des éléments surnaturels. Ce qui était réel au départ se voit ainsi métamorphosé. Il en résulte une espèce de cocktail qui n’est plus du réalisme mais du réalisme « magique ».

Premier roman avec « La Lune noire d’Orion », et première récompense du meilleur roman français. Cela t’a-t-il encouragé à écrire ?

Oui, bien sûr. Cela a été un grand bonheur. En trois mois de temps, je suis passé de l’état de bosseur non publié à celui d’auteur primé. C’était magique. En même temps, j’ai eu beaucoup de mal avec le deuxième roman parce que, bien sûr, on m’attendait au tournant. De surcroît, je n’ai pas choisi la facilité puisque je suis passé d’un space opera, genre qui avait le vent en poupe, à une Heroic Fantasy (pas trop Heroic, d’ailleurs), ce qui était très mal vu dans les années 1980. Le milieu de la SF tenait la Fantasy pour un genre méprisable, et aucun Français ne s’y serait risqué. Moi, j’avais envie d’explorer un univers autre que celui du futur, des planètes et des voyages dans le cosmos. Un moyen-âge merveilleux me paraissait une bonne solution, mais le roman a eu un peu de mal à trouver un éditeur !

« Khanaor », ton deuxième roman, fait partie de la Fantasy : tu aimes ainsi jongler avec les étiquettes

J’ai jonglé avec les étiquettes jusqu’à un certain point. Au début, tout en apprenant mon métier, j’ai fonctionné comme certains metteurs en scène américains qui réalisent tantôt un western, tantôt un mélo, tantôt une comédie musicale… Cela me plaisait beaucoup parce que je me cherchais encore, et qu’explorer ces divers territoires m’aidaient à trouver la voie qui me convenait.

Après « Khanaor », j’ai pris conscience du fait que si je voulais avancer, il fallait que je renonce au roman d’aventure. J’avais dit ce que j’avais à dire dans cette catégorie-là. Ce choix a été assez douloureux, comme toute forme de renoncement, mais il était nécessaire.

En 1986, tu rejoins le groupe « Limite » qui a fait beaucoup de bruit à l’époque. Que retiens-tu de cette expérience ?

J’ai rejoint le groupe « Limite » avec mon troisième roman, intitulé « La Ville au fond de l’œil » et rattaché à un genre qui… n’existait pas : la psycho-fiction. Ce livre est le reflet de la profonde dépression dans laquelle je me trouvais à l’époque et j’ai eu beaucoup de mal à le structurer pour en faire un texte cohérent, pour ne pas dire un roman. Au début, c’était une collection de symptômes hallucinés, sans histoire véritable, assez indigeste. Une fois sorti de la dépression, je l’ai pas mal remanié. J’ai aussi adopté une écriture très différente de celle de mes romans précédents, ce qui a attiré l’attention d’Emmanuel Jouanne, alors lecteur chez Denoël. Il a dit à Elisabeth Gille, directrice de PdF, qu’il fallait absolument prendre ce livre. Je suis ainsi entré dans le groupe « Limite » dont Emmanuel était un des fondateurs, et j’y ai rencontré des auteurs de science-fiction qui cherchaient à dépasser les codes des romans d’aventure à l’américaine – référence absolue à l’époque. On a travaillé ensemble pendant 2 ans, beaucoup discuté, exploré de nombreuses voies, et enfin publié un recueil de nouvelles où chacun donnait libre cours à ses démons intérieurs.

Le rendre à peu près lisible n’a pas été une mince affaire, parce que certains textes étaient très abscons. De plus, nous avions fait un mauvais choix qui consistait à signer les textes collectivement : d’une part, cela a créé un faux problème, le lecteur cherchant à découvrir qui avait écrit quoi ; d’autre part, ledit lecteur, recevant le tout comme un ensemble venant d’un seul auteur, ne pouvait se raccrocher à l’écriture de tel ou tel, ce qui aurait aéré sa lecture. Malgré nos efforts, l’ensemble reste quand même – à mes yeux – assez ardu.

Néanmoins, cette époque a été pour moi très positive, car elle m’a ouvert l’esprit et permis de prendre des risques que je n’aurais pas envisagés avant.

En 1990, tu publies « Rivages des intouchables » qui reçoit le Grand Prix de la SF française. Mais dans les années qui suivent, tu délaisses la SF. Un hasard ?

Non, c’était tout à fait logique. Avec « Rivages des intouchables » qui était mon quatrième roman, j’ai eu l’impression d’avoir été aussi loin que je pouvais dans ce domaine : si je voulais m’améliorer et/ou faire autre chose que me répéter, il fallait que je change complètement de direction. D’autre part, la réaction de la majorité du milieu SF au groupe « Limite », avait été très blessante. Notre entreprise n’était pas sans défauts, mais nous accuser de tous les péchés de la terre était pour le moins injuste.

Du coup, j’ai décidé d’écrire un roman « réaliste ». J’avais un sujet qui me préoccupait – les rapports franco-allemands après la guerre – et je l’ai donc traité dans mon premier roman de littérature générale, « L’ombre d’un soldat ». Je suis resté dans le mainstream environ 10 ans. J’y ai rencontré un autre groupe d’auteurs, la « Nouvelle Fiction » qui, eux, regardaient vers les littératures de l’Imaginaire. J’ai travaillé avec eux et nous avons publié ensemble plusieurs recueils de nouvelles. Une autre expérience de groupe, donc, encore plus enrichissante que la première.

En 1993, tu publies ton premier essai littéraire. Un plaisir jubilatoire de chercheur ou le plaisir de faire découvrir ?

C’était d’abord mon métier : pour le CNRS, je devais publier des écrits théoriques. Mon directeur de laboratoire, Louis Marin, m’a conseillé d’intégrer dans cet ouvrage mon expérience de biologiste. J’ai donc pris comme sujet les métamorphoses du corps, et choisi un corpus allant de l’Antiquité jusqu’à l’époque contemporaine. J’ai étudié la manière dont ce thème de la métamorphose avait évolué à au fil des siècles, d’Ovide à la SF, en passant par le merveilleux et le fantastique. En même temps, travailler sur un corpus que j’aimais était extrêmement agréable. J’ai retrouvé ce plaisir dans tous les essais qui ont suivi.


En 1994, sort le premier tome de ton cycle « Le Rêve du Démiurge ». Peux-tu nous en dire quelques mots ?

Le premier tome était « L’ombre d’un soldat » : j’ai dû l’amputer de quatre chapitres parce qu’il était construit d’une façon un peu bizarre ; une éditrice m’a fait remarquer qu’il y avait en fait deux romans en un et que la structure ne convenait pas. J’ai donc retiré quatre chapitres, remanié la fin et l’ai publié chez Denoël. Mais je n’étais pas très satisfait du résultat parce que ces quatre chapitres, tournant autour du théâtre, me tenaient particulièrement à cœur. À la même période, j’ai écrit le deuxième volume « Le jongleur interrompu » qui, tout comme le premier pouvait être considéré comme un écrit réaliste, bien que comportant un élément surnaturel.

Les deux volumes étaient indépendants, mais compatibles sur le plan chronologique, tous deux se passant en France dans les années 50-60.

Je me suis donc décidé à reprendre le héros de « L’ombre d’un soldat » pour raconter la suite de son histoire quatre ans plus tard dans un troisième roman, « Mélusath », situé dans un théâtre. J’y ai également fait intervenir la petite voyante du « Jongleur interrompu », de manière à ce que les trois romans soient corrélés.

A cette époque, je n’avais pas conscience d’amorcer un cycle. Pourtant, une fois le troisième roman terminé, j’ai eu envie de raconter la suite de l’histoire de Tom Boulon, le régisseur du théâtre, que j’avais laissé ivre mort et en plein désarroi à la fin de « Mélusath ». J’ai donc poursuivi ses aventures, en incluant dans son histoire un adolescent issu du « Jongleur interrompu ». En fait, je lui ai plutôt joué un mauvais tour, à ce brave Tom : alors que je l’avais laissé ivre mort à la fin de « Mélusath », il finit tout à fait mort dans le « Jeu du cormoran ». Cela m’a beaucoup été reproché (rires).

Vers 2000, tu commences à développer le concept de « transfictions » ? C’est quoi cette drôle de bête ?

C’est le fruit des réflexions amorcées dans le groupe « Limite » et poursuivies dans la « Nouvelle Fiction ». Il s’agit de l’aboutissement d’une tentative de définition de la Nouvelle Fiction, qui ne coïncidait pas exactement avec les critères revendiqués par certains de ses membres. Je me suis donc retrouvé à définir quelque chose qui n’était pas la Nouvelle Fiction mais, plus généralement, l’interface entre la littérature générale et les littératures de l’imaginaire. J’ai alors entrepris d’étudier, d’un point de vue narratologique, la nature de cette interface, et de caractériser les ouvrages appartenant à l’un ou l’autre des deux continents (le mainstream et l’Imaginaire) et se rejoignant dans ce lieu auquel personne n’avait vraiment donné de nom.

Je suis parti sur cette réflexion et j’ai discuté avec un certain nombre d’auteurs américains qui travaillaient aussi là-dessus. Ils m’ont dit que cette zone avait été abordée comme « interstitial art » par les uns, comme « slipstream » par les autres. Je n’étais donc pas le seul à me poser cette question. Sébastien Guillot, alors directeur de Folio SF, avait déjà publié des essais-guide de lecture sur la science-fiction, le merveilleux et le fantastique. Il m’a demandé de rédiger un ouvrage du même type sur le sujet.

J’ai écrit cet ouvrage, « Bibliothèque de l’Entre-Mondes », et tenté de définir ce genre, qui n’est pas un genre mais plutôt une nébuleuse située à la frontière des deux continents. Eux-mêmes n’ont pas non plus de définition précise. Mais ils existent dans les faits, parce qu’ils sont séparés tant au niveau des éditeurs qu’à celui des critiques, des libraires et même des lecteurs. Il me paraissait donc important d’établir des passerelles entre eux.

Entre 2003 et 2005 paraissent pas moins de 6 livres. Tu avais pris un surplus de vitamines ou est-ce un hasard de l’édition ?

C’était sans doute une coïncidence. Les essais que je rédigeais pour le CNRS, « Du Rêve au Roman » et « Bibliothèque de l’Entre-Mondes », ont pu paraître en même temps que certains romans. Mes deux activités convergeaient et produisaient toutes deux des livres. Il y a eu également des rééditions comme « Khanaor » ou « Le Serpent à collerette », novella publiée d’abord isolément chez Dreampress.com, puis dans le recueil « Forêts Secrètes » au Bélial’.

« Du Rêve au roman » est un opuscule paru aux Éditions Universitaires de Dijon pour rendre compte de mon expérience de romancier et expliquer comment l’on fabrique un roman. J’y ai incorporé la vision d’amis écrivains dont le rapport à l’écriture est différent du mien, ainsi que le témoignage de divers grands auteurs du répertoire.

Il peut servir de point de repère pour les jeunes auteurs qui se posent des questions sur la construction, l’écriture, le remaniement, mais aussi sur l’élaboration qui est la première étape où apparaissent les idées – le rêve qui va se transformer en roman.

« Le Petit cabaret des morts », le 7e volume du « Rêve du Démiurge » paraît l’année dernière. Dernier volume du cycle ?

Non, il y en a encore deux. J’ai le schéma complet du cycle depuis des années. Il a dû s’établir entre le quatrième volume, « Le jeu du cormoran », et le cinquième, « Nuit de colère ». J’avais suivi la destinée d’un certain nombre de personnages et il me restait plusieurs thèmes à explorer. Je me suis demandé combien il me fallait encore de romans pour aller au bout de l’ensemble et lui donner un semblant de cohérence ; la réponse a été neuf. Le huitième roman est terminé depuis un moment et je suis arrivé à la moitié du neuvième.

De nombreux prix parsèment ta carrière. Cela flatte-t-il ton ego ou cela fait-il décoller les ventes ?

Evidemment, j’y suis sensible, parce que c’est une reconnaissance des professionnels et/ou des amateurs du milieu. Cela m’encourage à persévérer pour être digne de leur confiance, mais ça ne m’apporte malheureusement pas davantage de lecteurs. En SF, les prix ne font guère décoller les ventes.

Que penses-tu de cette citation d’Einstein :« Il est plus facile de désintégrer un atome qu’un préjugé » ?

Je ne sais pas, je n’ai jamais désintégré d’atomes, c’était plutôt le travail de mon père. Je me suis davantage attaché à désintégrer les préjugés puisque, personnellement, j’ai été victime d’un certain nombre d’entre eux ; en particulier, pendant ma jeunesse, ceux qui portaient sur l’homosexualité et m’ont bien empoisonné la vie. J’ai donc mis beaucoup d’énergie à lutter contre. Il est vrai qu’abattre les préjugés est devenu chez moi une seconde nature, puisqu’une fois que l’on a renversé un tabou, s’attaquer aux suivant se révèle plus facile ; on se rend compte que c’est possible, et qu’on fait ainsi à soi-même et aux autres. Alors, on continue, tout en apprenant à doser l’agressivité qu’on y met : ni trop ni trop peu, si l’on veut obtenir les résultats escomptés.

« Forêts secrètes » vient de rafler le Prix Masterton des meilleures nouvelles de ces 10 dernières années. Une réaction ?

Je suis assez ébloui, parce que « Le Serpent à collerette » l’avait obtenu une première fois en tant que novella isolée, puis une deuxième avec le recueil « Forêts secrètes » où il figurait. Il l’obtient donc ici pour la troisième fois, ce dont je remercie vivement le jury Masterton.

Tes écrits sont ciselés à la virgule près. As-tu le goût pour le « bien écrit » ?

Oui. Je suis jamais totalement satisfait de ce que j’écris. Je soumets un ouvrage à mon éditeur quand je l’ai amené à son état de perfection maximale (selon moi), mais je reste toujours prêt à entendre les suggestions qu’il peut me faire pour l’améliorer.

Quand tu dis « à la virgule près », il est vrai que j’ai tendance à en mettre beaucoup, voire trop dans mes ouvrages. Je m’en suis rendu compte, par exemple, quand j’ai relu les épreuves de la troisième édition de « Khanaor » : j’ai retiré une moyenne de quatre virgules par page, pour un roman de 400 pages, soit… 1600 virgules au total !

Quel est ton auteur de l’Imaginaire préféré ?

Boris Vian, à qui je dois tout. Quand on parle de lui, je dis toujours « Tonton Boris », même si on n’a aucun lien de parenté. C’est vraiment l’auteur de littérature générale qui m’a ouvert les portes de l’Imaginaire contemporain de la manière la plus caractéristique. Certes, il y a eu des auteurs fantastiques du 19ème siècle qui sont un peu entre deux genres parce que la catégorisation n’était pas si opérée à l’époque, mais quelqu’un comme Boris Vian franchit allègrement toutes les barrières, tant au niveau de ce qu’il raconte qu’au niveau du langage. De plus, je me suis aperçu, sur le tard, que nous avions un imaginaire commun qui nous passionnait tous les deux : le Kalevala, la grande épopée sur laquelle s’organisait l’identité finlandaise.

Quel est ton auteur de littérature générale préféré ?

En dehors de Boris Vian, je peux mentionner Emilie Brontë, Dickens, Dostoïevski, Hesse, Zola, Maupassant, Proust, Giraudoux, Claudel, Ionesco…

Quel est ton roman d’Imaginaire préféré ?

« Les plus qu’humains » de Théodore Sturgeon, un auteur à la frontière des genres dont l’univers est à la fois poétique et profondément humain.

Quel est ton roman hors Imaginaire préféré ?

Pendant très longtemps, ça a été « Les Hauts de Hurlevent » mais je pourrais également citer « L’Arrache-cœur » de Boris Vian, « Crime et châtiment » ou « L’idiot » de Dostoïevski, « Les Grandes Espérances » de Dickens, « Narcisse et Goldmund » de Hesse, « A la recherche du temps perdu » de Proust, et bien d’autres

Quel est ton film d’Imaginaire préféré ?

Peut-être le « Dracula » de Coppola. C’est un film absolument somptueux, une histoire d’amour torrentielle, une beauté visuelle considérable et une musique magnifique de Wojciech Kilar.

Quel est ton film hors Imaginaire préféré ?

Il y en a deux que j’aime beaucoup. D’abord, « La fille sur la balançoire » de Richard Fleischer, un mélo poignant, tiré d’un fait divers réel qui s’est produit au début du 20ème siècle, avec Joan Collins, Farley Granger et Ray Milland.

L’autre est « La fièvre dans le sang » de Kazan, avec Warren Beatty et Nathalie Wood – qui est ma star américaine préférée.

Quel livre d’un autre auteur aurais-tu désiré avoir écrit, soit parce que tu es jaloux de ne pas avoir eu l’idée le premier, soit parce que tu aurais traité l’idée d’une autre manière ?

Je ne sais pas mais il y a deux romans, très différents, qui m’ont fait faire des bonds sur mon divan pendant que je les lisais. Le premier est « La pitié dangereuse » de Stefan Zweig qui dénonçait un piège dans lequel j’étais moi-même tombé : interagir avec une personne par pitié, la laisser s’éprendre de vous alors que vous n’êtes pas amoureux d’elle, et vous empêtrer dans cette situation jusqu’à la catastrophe. En lisant ce roman, j’étais tétanisé de voir analysée de façon aussi claire une erreur que je commettais régulièrement.

L’autre exemple qui me vient est « Or not to be » de Fabrice Colin, un auteur que je ne connaissais pas à ce moment-là. J’ai lu son roman en ayant l’étrange sentiment que c’était moi qui l’avais écrit. Je m’y reconnaissais très profondément. Je suis allé aux Imaginales suivantes en espérant l’y rencontrer et devenir ami avec lui. C’est ce qui s’est produit. Fabrice est un auteur formidable et un garçon que j’aime beaucoup.

Quel est ton principal trait de caractère ?

Je suis schizoïde, avec une certaine tendance à la dépression.

Qu’est-ce qui t’énerve ?

L’intolérance ; le fait que les gens ne supportent pas que l’on pense différemment d’eux. Donc, je ne m’entends pas avec les paranoïaques, qui ont une pensée monolithique et s’expriment de façon dogmatique. Je ne les supporte pas et ils ne me supportent pas non plus parce qu’il m’arrive de penser des choses tout à fait contradictoires. Et si on étend la paranoïa au domaine collectif, cela donne l’intégrisme. Je ne supporte pas les intégristes, que soit en politique, en religion, en littérature ou tout autre domaine ; et ils me le rendent bien.

Quel est le don que tu regrettes de ne pas avoir ?

Je voudrais avoir plus de dons en musique. J’aurais adoré composer des opéras, des ballets, des poèmes symphoniques. Mais je n’en ai pas la capacité. J’espère l’avoir dans une vie ultérieure !


Quel est ton rêve de bonheur ?

Je ne crois pas au bonheur. On peut avoir des instants furtifs de bonheur mais je ne pense pas que le bonheur soit un état. Ou alors, peut-être, avec la pratique du zen, quand on a renoncé à tout et qu’on ne peut plus être atteint par la souffrance. Mais je suis très loin de cette sagesse. Et je ne crois pas l’atteindre dans les jours à venir.

Par quoi es-tu fasciné ?

Par les gens qui ont du génie et/ou du charisme. Tous les artistes qui ont, dans leur discipline, un talent exceptionnel : un compositeur comme Messiaen, un peintre fou comme Dali, un créateur aux mille facettes comme Cocteau. Ou encore une chanteuse comme Françoise Hardy, dont la beauté, la voix et la sensibilité m’ont toujours touché ; je suis d’ailleurs en train d’écrire des chansons que j’espère lui proposer un jour. Dans un tout autre genre, je suis également fasciné par les bodybuilders qui font de leur corps une œuvre d’art.

Tes héros dans la vie réelle ?

Je ne suis pas très branché sur la vie réelle.

Si tu rencontrais le génie de la lampe, quels vœux formulerais-tu ?

Il faut se méfier des vœux qu’on formule parce qu’il y a toujours une contre-partie. Je pense que je demanderais de ne pas vieillir, d’être un peu plus viril et d’avoir un peu plus de talent.

Ta vie est-elle à l’image de ce que tu espérais ?

Curieusement, oui. J’espérais devenir écrivain et j’y suis arrivé. J’espérais ne pas devenir gay, je le suis devenu et en suis très content. J’ai 62 ans et je continue à améliorer des choses en moi, y compris sur le plan physique. Je continue à avoir de l’espoir, même si je pense au suicide comme à un compagnon de tous les jours, qui devrait me permettre dans quelques années de me retirer dignement.

Cite-nous 5 choses qui te plaisent.

- La musique de Prokofiev

- Les chansons de Françoise Hardy

- Le cinéma en noir et blanc des années 60

- La manière dont la communauté gay a évolué et continue d’évoluer

- Le milieu des littératures de l’Imaginaire dans ce qu’il a de créatif et de convivial

Cinq choses qui te déplaisent

- L’intégrisme

- Le rap

- Un parfum pour femme, dont je ne connais pas le nom mais dont j’ai horreur

- Les gens qui se laissent aller et ne se respectent pas eux-mêmes

- Les supporters de football, le niveau le plus bas de l’intelligence humaine

Last but not least une question classique : tes projets ?

D’abord, terminer mon cycle et sa réédition intégrale. J’ai d’autres projets, après la fin du cycle, un roman de fantasy, un roman de science-fiction gay, quelques nouvelles. Et des chansons, aussi. Je ne sais pas encore dans quel ordre je réaliserai tout cela…

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Commentaires

Voilà une belle interview, sincère et pleine de rêves, de la part de l’une des plus belles voix des littératures de l’imaginaire en France.
On le reconnait dans sa réserve et ses passions, sa finesse également.