Fantasy (La)

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Plusieurs genres modernes des littératures de l’Imaginaire sont étroitement liés à l‘évolution des convictions et des certitudes religieuses en Occident.

Les premières œuvres fantastiques sont historiquement apparues et ont prospéré aux époques et dans les pays où les croyances chrétiennes s’affaiblissaient. Les icônes et les entités religieuses jusqu’alors efficaces perdaient leurs pouvoirs et le caractère « naturel » qu’elles avaient pour les croyants, pour devenir « surnaturelles » aux yeux de ceux qui constataient les avancées de la science et commençaient à y croire. Tantôt libres-penseurs, tantôt déistes incroyants en partie seulement (on ne se libère pas en quelques années de l’imprégnation de religions effectuée dès le plus jeune âge), ils continuaient à vivre dans une certaine incertitude et à croire – comme Voltaire – plus ou moins vaguement en « quelque chose », en contradiction avec la rationalité dont ils ressentaient l’efficacité.

Ce qui a fait le lit de l’inquiétude fantastique est ce « quelque chose » susceptible être là, derrière la réalité, l’invisible dissimulé derrière le monde visible que la science explorait avec succès, mais que – dit-on – la science ne pouvait concevoir. Ce « quelque chose » heurte la raison, mais auquel on ne peut s’empêcher d’y croire (le « peut-être » ou le « oui, mais… »).

S’attachant plus particulièrement à la psychologie de l’homme angoissé, le fantastique est né dans des sociétés modernes en proie au doute, et correspond au maintien ou à la résurgence des superstitions refoulées par le rationalisme du siècle des Lumières. Les contemporains s’attendaient à ce que la science leur révèle les « secrets » du monde, leur donne des explications définitives (comme les religions). Au contraire, elle leur montre qu’au fur et à mesure de ses avancées, les parts d’ombre augmentent, ainsi que la part d’inconnu à explorer qui, loin de diminuer, augmente sans cesse. Sa complexité la rend inintelligible à beaucoup, qui, insatisfaits de son évolution, constatent l’ échec de leurs espérances.

Toujours sans réponses à leurs questions personnelles, ils imaginent ce qui peut se trouver dans cet inconnu, retombent dans leurs croyances anciennes, et, pour peu qu’ils aiment le tragique, se plaisent à des œuvres dominées par maintes créatures inventées par le genre ou créées jadis par les superstitions.

Mais la réalité cachée du fantastique fait souvent peur. Le charme de la fantasy, de « il était une fois » qui a captivé leurs enfances, continue à habiter certains adultes. Ils se plaisent à imaginer un autre monde qui prend ses distances avec le nôtre tout en correspondant à leurs problèmes de vie quotidienne et de société. Ils aiment ce genre qui fait réapparaître l’attrait que la science avait enlevé aux légendes, aux mythologies et aux croyances anciennes, qui faisaient rêver. Le fantastique engendre la crainte, et n’enchante pas. Genre foisonnant et offrant de multiples variantes, la fantasy qui prend régulièrement de l’extension depuis quelques dizaines d’années joue maintenant ce rôle d’enchantement.

C’est le mérite de Mats Ludün d’avoir tenté de mettre de l’ordre dans ce vaste ensemble en extension. La fantasy est un genre multiforme aux frontières floues et il ne suffit pas d’énumérer ses différents courants et ses auteurs principaux apparus depuis les « pulps » américains pour dégager ce qui constitue l’essence du genre. Ludün y a consacré le chapitre nécessaire mais ne s’est pas étendu outre mesure sur le sujet. Il a illustré chaque description des sous-genres par de brefs extraits des auteurs caractéristiques, procédé utilisé dans tout l’ouvrage, avec le même bonheur et la même justesse de choix, et il évite l’ennui sans entraîner la dispersion. Ludün a noté que ces divers aspects de la fantasy correspondent à l’extension de nos sociétés industrielles et au manque de perspectives qu’elles nous offrent, en dehors d’une société dominée par l’argent et la consommation. “Aujourd’hui l’homme n’est plus qu’un nombre, un matricule, tant pour la sécurité sociale que pour l’école. Le « way of life » américain s’est transformé en mondialisation. Depuis l’écroulement du bloc soviétique, le mode de vie des Etats-Unis s’impose partout dans le monde au mépris des cultures et des mœurs locales. De grandes multinationales, Coca-Cola, Nike… essaiment un peu partout et écrasent, par un libéralisme excessif, les petits commerces. À travers leurs superproductions cinématographiques, largement diffusées, les États-Unis se glorifient, s’imposent comme les sauveurs du monde. (…) C’est aujourd’hui, dans ce contexte, et en réaction, que la fantasy connaît son apogée.” (p. 57)

Correspondant au besoin d’échapper à l’étouffement d’une société devenue contraignante pour beaucoup, la fantasy propose en effet un retour au passé. Non pas le passé de l’ethnologue ou de l’historien, mais un passé fictif, inventé de toutes pièces, aux allures de mythes, auquel, pour des raisons d’authenticité, les auteurs cherchent à donner les apparences de la vérité en portant l’attention des lecteurs sur la transmission de données présentées comme historiques.

À la suite de Tolkien, les sources de l’histoire, la géographie sous forme de cartes, la forme de chroniques ou d’annales sont devenues nécessaires. D’où la place donnée aux conteurs, aèdes, troubadours, poètes, et l’utilisation d’une forme plus orale qu’écrite. Écrivain, historien, prophète, l’auteur de fantasy apporte une vérité historique qui n’existe que par elle-même, en multipliant les preuves de l’existence de son monde. Il est plaisant pour les auteurs de recréer une cosmogonie, de jouer le rôle mythologique de Jahvé comme il est décrit dans les légendes hébraïques créant le monde, avec cette caractéristique nouvelle : présenter des situations qui se trouvent en résonance avec celles que vivent les lecteurs dans la vie ordinaire. La trame de la fantasy est ainsi d’essence religieuse, et on y retrouve surtout les survivances des légendes mésopotamiennes pré-bibliques, ou bibliques qui s’en sont inspirées : la présence du mal ou du monstre, le rôle du héros charismatique, ce qui donne souvent aux œuvres la forme épique.

Les héros ont souvent un projet cosmique. Élus, êtres à part, ils présentent un profil christique, chevaliers au service de la veuve et de l’orphelin, luttant contre l’oppression et l’injustice. Leur combat prend souvent la forme qu’une quête, au cours de laquelle se forme leur caractère et s’endurcit leur force. Ambitionnant de rétablir un équilibre rompu, ils ont à affronter de multiples dangers, que les auteurs prolongent à l’envi. Transposé souvent dans le système féodal, le genre prend souvent l’allure feuilletonesque des romans-fleuves du XIXe, dont ils ont emprunté quelques-uns des caractères.

On trouvera ces considérations dans les divers chapitres de l’ouvrage de Mats Ludün, toujours éclairées par des illustrations littéraires bienvenues. Aucun des thèmes retenus n’est indifférent. Ainsi celui, sous-jacent à la fantasy, du paganisme et de la religion naturelle telle que se la représentaient au XVIIIe siècle les émules de Rousseau. L’essence du genre est orientée vers des croyances très anciennes, mais toujours persistantes comme la magie ou la sorcellerie. Ce qui explique que certaines œuvres prennent parti contre une religion contraignante avec un retour à des formes de pensée primitive, comme l’animisme et la magie.

L’attitude de la fantasy à l’égard de la nature et de la science est conséquente. La nature fait figure de panacée, de paradis retrouvé, et prend souvent un caractère sacré : porter atteinte à son intégrité prend la forme d’une profanation. Aussi le « bon sauvage » est-il présenté sous un jour plus favorable que le civilisé, et même sa cruauté paraît moins grave dans son irréflexion que celle du civilisé calculant avec soin ses crimes et prédations. Car la fantasy ne fait que rarement bon ménage avec la science et les techniques, considérées comme conduisant les hommes à l’asservissement et à l’esclavage. Elle est devenue le refuge qui plaît à ceux qui ne sont pas à l’aise dans le monde scientifique moderne, opposant le sage magicien aux multiples pouvoirs aux savants modernes qui deviennent trop souvent « fous ». Bien des œuvres se montrent méfiantes envers la science et le progrès. Elles opposent à leurs contraintes l’ancien code d’honneur de la chevalerie et la force de la conscience.

Bien d’autres remarques de détail sont intéressantes dans cet ouvrage, comme la place de l’aventure et de la quête, ou la nostalgie du paradis perdu. Autre aspect, alors que notre société craint une mort qui lui paraît de plus en plus le terme irrémédiable de toute vie, la fantasy lui permet de cultiver le rêve de l’immortalité, puisqu’elle est aussi le retour au temps cyclique et non pas linéaire des sociétés modernes.

On appréciera le souci de clarté dans les explications, la rigueur du plan adopté, la présence d’un glossaire et l’annexe consacrée aux extensions de la fantasy au cinéma, au jeu de rôle, à la vidéo et aux bandes dessinées. On regrettera l’absence de conclusion d’ensemble.

D’autant plus que la fantasy a ses détracteurs en tant que genre. On lui reproche de cultiver chez ses lecteurs une mentalité dépassée marquée par le retour à l’irrationnel, correspondant à des courants d’une époque déboussolée, qui redevient friande de magie et de parapsychologie, faute de pouvoir aborder par manque de moyens les complications de la recherche scientifique. Apportant le dépaysement culturel, historique et géographique, procurant à ses lecteurs l’impression qu’il est possible de changer le cours des choses, alors que, dans leur quotidien, ils se heurtent souvent à des difficultés qui leur paraissent insurmontables, la fantasy donne le sentiment d’un monde-autre possible, qui a l’apparence et le goût du merveilleux et qui crée l’illusion, au moins le temps de la lecture._

Mais il faut bien admettre que, glorifiant l’instinct contre la raison, prônant le retour à la nature dans la méfiance de la science, elle est dans l’ensemble un genre réactionnaire qui vise à créer l’évasion en opposition avec une modernité refusée, sans proposer de véritables remèdes. Ludün, qui conteste cette opinion, a montré que la fantasy, jouait aussi un rôle de dénonciation des insuffisances sociales. Il n’en demeure pas moins que, soucieuse d’évasion pour ceux qui tentent d’échapper à la réalité par le rêve, la fantasy prend sa place dans la vaste entreprise de mystification, non concertée mais cohérente. Elle tend, dans nos sociétés de consommation, à éloigner nos contemporains des choix de la modernité de façon à en faire les consommateurs dociles d’une société contrainte en leur offrant par procuration des divertissements ou la perspective d’un autre monde virtuel plus gratifiant. N’était-ce pas la fonction que remplissaient les religions hier, en maintenant l’ordre des gouvernants et des nantis par la promesse aux masses d’une vie meilleure dans l’au-delà ? ou maintenant dans un « ailleurs » ?

Table des matières

Les sources – Histoire et définition – Écrire de nouveaux mythes – Le héros – La religion – La nature – Le bon sauvage – Révolution et fin du monde – Les extensions de la fantasy – Les extensions de la fantasy

Mats Ludün, La Fantasy, Ellipses, 2006, 160 pages

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Commentaires

Je trouve que c’est pas mal mais lire tout ça est fatigant faudrait raccourcir le texte.