Vision aveugle
A la lecture de la quatrième de couverture, on devine qu’il s’agit d’un livre de hard science qui va nous plonger au-delà des limites de notre système solaire, à la découverte d’un artéfact. Oui… oui… c’est le genre de sujet qu’on a déjà eu l’occasion de lire à travers des romans comme « Rendez-vous avec Rama » de Arthur C. Clarke ou « Eon » et « Eternité » de Greg Bear. Serait-ce une version revisitée d’un de ces romans ? Pas vraiment. Peter Watts a décidé de nous montrer un équipage composé de personnes modifiées (qui ont subi des altérations biologiques) et qui se retrouvent au-delà du nuage d’Oort, à une demi-année lumière de notre étoile. A bord du vaisseau Thésée, ils découvrent un gigantesque artéfact de neuf kilomètres de long qui n’est rien d’autre qu’un vaisseau spatial perdu dans l’immensité du vide, dans une région où les astéroïdes sont un réel danger.
L’histoire est racontée à la première personne. Siri Keeton, le narrateur, suite à des crises d’épilepsie, n’a plus que la moitié de son cerveau, l’autre partie ayant été remplacée par un ordinateur lorsqu’il était enfant. Le commandant du vaisseau est un vampire et les autres membres d’équipage sont aussi atypiques. Par exemple le « gang des quatre » réunit quatre consciences dans un seul corps. A ce stade-ci, on se demande ce que vient faire un vampire dans l’histoire. Pourquoi pas un mage, un lapin rose avec un chapeau, une danseuse de claquettes ou un elfe ?
Le livre demande une grande attention lors de la lecture pour bien comprendre l’histoire. Presque à chaque chapitre, on trouve un flash-back qui nous retrace un des épisodes de la vie de Siri Keeton qui entretenait une relation conflictuelle avec son amie Chelsea. Si ces flash-backs nous aident à mieux comprendre la personnalité de Siri Keeton, ils ne nous aident en rien pour comprendre la situation actuelle. C’est quasiment un tiers du livre qui est consacré aux états d’âme du personnage et qui est inutile.
Peter Watts est biologiste et n’hésite pas à nous faire fréquemment de petits cours de science pendant toute la lecture du livre. L’idée sous-jacente qu’il veut nous montrer, c’est qu’il n’y a pas de lien intrinsèque entre l’intelligence et la conscience. Et il va nous le décrire à travers les communications entre le Rorschach (l’artefact) et l’équipage du Thésée. Est-ce que l’artéfact dispose bel et bien d’une vraie conscience ? Ou bien s’agit-il d’une simulation ? L’expérience de la chambre chinoise, qui a été développée par John Searle au début des années 80, est ici mise en valeur. Est-ce qu’un programme informatique aussi complexe soit-il, est suffisant pour donner un esprit au système ? J’invite le lecteur à aller sur Wikipédia pour en savoir plus.
En temps que lecteur, on s’attend à suivre l’exploration de l’artéfact et à partager le danger avec les héros. Mais si l’artefact est bel et bien dangereux, ce qui nécessite de renforcer la protection des membres d’équipage et d’effectuer de courtes missions entre le Rorschach et le Thésée, on est très loin de ce que Clarke ou Bear nous proposent. C’est à peine si les personnages arrivent à mettre un pied sur ce qui semble être un vaisseau qui s’agrandit en permanence. La déception est au rendez-vous. Pas de grandes explorations qui vont nous faire découvrir un environnement extraterrestre. Simplement des personnages qui butent sur un artéfact hostile, et qui ont des crises de conscience. C’est un peu comme si on nous demandait de visiter un building, mais qu’on ne va pas plus loin que le hall d’entrée parce que les ascenseurs sont à l’arrêt. De plus, Peter Watts a la vilaine manie de nous créer des paragraphes qui commencent par « Imaginez que vous êtes… » et on est parti dans des digressions qui n’ont rien à voir avec l’histoire. Ce qui fait que les 330 pages de ce roman pourraient se résumer à une cinquantaine.
Le livre ne tient pas ses promesses. Si il a été nominé à un certain nombre de prix, il n’a pas décroché la timbale comme l’a fait « Rendez-vous avec Rama » de Arthur C. Clarke (Hugo 1974). Il n’a ni l’originalité de Clarke, ni l’imagination de Greg Bear ou celle de Peter Hamilton (voir la nouvelle concernant l’exploration d’un artéfact, parue dans Galaxies 24). Au lieu de cela, on se retrouve avec un cours de biologie déguisé en livre de science-fiction. Il s’agit plus d’un livre d’introspection que d’exploration. Un livre complexe qui nécessite d’être concentré lors de sa lecture, mais qui n’attirera pas le lecteur en quête d’aventure.
Vision aveugle, Peter Watts, Fleuve noir, 344 pages, traduit par Gilles Goullet, 2009