Vraie vie (La)

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Au départ, La vraie vie d’Adeline Dieudonné n’était pas dans ma liste de lecture. Et le fait qu’on en parle partout et que son livre se retrouvait dans toutes les librairies m’inquiétait un peu. Avec la rentrée littéraire de septembre, j’ai donc décidé de ne pas me focaliser sur les sorties trop médiatisées. Trois mois plus tard, une interview d’Adeline Dieudonné faite par Hadja Lahbib sur la RTBF m’a donné envie d’en savoir plus sur cette auteure dont le visage ne m’était pas totalement inconnu.

Après avoir chroniqué les derniers livres d’amies comédiennes et « prof d’unif », La vraie vie m’attendait. Pas ma vie personnelle, pas celle d’Adeline Dieudonné, mais celle décrite dans son roman.

À travers les yeux d’une petite fille de dix ans, j’ai abordé ce livre sans deviner où celui-ci m’emmènerait. Et la surprise est effectivement au rendez-vous à plusieurs reprises. La première question que je me suis posée c’est : comment s’appelle cette petite fille ? Je ne l’ai jamais appris, même en terminant le livre. Adeline Dieudonné a caché le nom de son héroïne. En fait, à part le frère, le professeur, l’amie Monica et quelques animaux, tous les personnages ont plutôt des pseudonymes (le champion, la plume).

Le roman s’étale sur cinq ans, pendant lesquels on va suivre cette petite fille qui passe de l’enfance à l’adolescence. Elle a un petit frère, Gilles âgé de six ans, qu’elle protège du mieux qu’elle peut. Un père comptable qui aime chasser du gros gibier, qui peut faire preuve de violence dans ses paroles ou ses actes, qui est un vrai prédateur. Et une mère quasi inexistante comparable à une amibe, parfois battue par son mari. Elle s’intéresse plus à ses petites chèvres et ses perruches qu’à ses propres enfants. À cela s’ajoute le décor, le Démo, un lotissement qui n’a rien d’attirant, qui pourrait se situer n’importe. Dès la première ligne du roman, on apprend que dans la maison où habite cette famille, une des chambres est réservée aux cadavres. Cadavres dans le cas présent correspondent à des animaux empaillés. Ce détail va donner le ton au reste du roman.

Lors de la première année, un évènement va profondément marquer les deux enfants, en particulier Gilles le petit frère. L’explosion du siphon de crème Chantilly du glacier. Les deux enfants sont alors confrontés à la dure réalité de la vie et de la mort. Si Gilles va s’enfermer dans un mutisme et perdre son sourire, sa grande sœur va tenter de le préserver du choc psychologique créé par cet évènement. C’est alors qu’elle a l’idée de vouloir comme dans le film Retour vers le futur, revenir dans le passé pour changer le cours du temps. Inventer le même système que celui de la DeLorean de Doc Brown. Mais c’est un rêve d’enfant, et pour y arriver il faut connaitre la physique quantique et la relativité. Au fil des années, la petite fille, qui est une surdouée, va étudier et parfois passer des années scolaires. Elle a pour modèle Marie Currie et va suivre des cours supplémentaires auprès d’un vieux professeur de sciences. Son rêve de voyage dans le temps, de changer les évènements restera un rêve. Et pendant toutes ces années, elle va voir son frère se renfermer sur lui-même, torturer des animaux et prendre gout au même plaisir que son père, la chasse. Les cinq années pendant lesquels se déroule l’histoire, notre héroïne va aussi découvrir sa sexualité et ses fantasmes, qui auront une grande influence sur ses propres décisions. La petite fille devient petit à petit une femme.

Le père est de plus en plus violent avec les membres de sa famille. La petite fille qui est devenue une adolescente se voit une nuit devenir la proie de son père, de son frère et d’autres chasseurs. C’est une chasse à l’homme nocturne en pleine forêt qui se déroule. Elle ne veut pas être le gibier, pas plus qu’elle ne tient à devenir une prédatrice. À ce stade de l’histoire, on se demande en tant que lecteur comment un tel monstre de père peut exister. Heureusement, notre héroïne a une motivation suffisamment grande pour surmonter l’adversité de sa propre famille. Sa volonté farouche de sauver son petit frère de l’influence de la hyène qui trône à la maison lui donne le courage de faire face à son père et à son frère qui lentement bascule vers l’obscurité.

Jusqu’à la scène finale, Adeline Dieudonné maintient le suspense sur ce roman. Comme lecteur, impossible de lâcher le livre jusqu’à la dernière page. D’un autre côté, on ne veut pas que le roman se termine. Il y a un dilemme à résoudre pour le lecteur. Achever ce livre ou ne pas être pressé de savoir ce qui va arriver à notre héroïne. Une certitude, ce livre ne tombera pas des mains !

Ce que j’ai bien aimé dans la façon d’écrire d’Adeline Dieudonné, c’est que derrière une écriture concise, tranchante et toujours fluide, elle parvient à nous détailler les moindres émotions de son héroïne, les moindres pensées de celle-ci à travers des métaphores qui font parfois sourire et favorisent l’empathie du lecteur vis-à-vis d’elle. On a peur pour cette petite fille et on a envie que son père soit neutralisé par tous les moyens.

La lecture de ce roman ne met pas à l’abri le lecteur qui va être confronté à plusieurs évènements importants, similaires à des coups de tonnerre dans l’histoire, qui vont ébranler ses convictions. Oui, c’est très bien amené et j’ai été surpris à plusieurs reprises. Merci Adeline !

Comme je le dis plus haut dans cette chronique, l’histoire peut se passer n’importe où. Mais quelques petits détails sont révélateurs. Des smoutebollen, c’est-à-dire des croustillons, c’est typiquement belge et bruxellois en particulier. Ce sont les beignets qu’on peut manger à la foire. Le Bruxellois que je suis l’a directement constaté avec un large sourire et un clin d’œil pour l’auteure.

J’ai adoré ce livre, que je vais m’empresser de faire lire à des proches, mais aussi à des adolescents qui seraient dans la même tranche d’âge que notre héroïne. Hors de question pour moi de couper les ponts avec ce livre que je viens de terminer. J’ai donc décidé d’enchainer avec la pièce de théâtre Bonobo Moussaka toujours d’Adeline Dieudonné. C’est dans un autre registre, plus humoristique, mais j’adore aussi.

Une interview pour mon blog et pour le magazine Phénix ne serait pas pour me déplaire, tellement j’ai adoré lire ce livre.

En un peu moins de 270 pages, j’ai vécu un excellent moment de lecture avec un livre qui mérite amplement les prix qu’on lui a décernés. La vraie vie tient toutes ses promesses et Adeline Dieudonné est décidément une auteure (ou écrivaine) sur laquelle il faudra compter dans le futur. À lire absolument.

 

La vraie vie, Adeline Dieudonné, L’iconoclaste, 2018, 266 pages

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