SADOUL Jacques 01

Auteur / Scénariste: 

Critique ici !

Pour en revenir à cette célèbre Histoire de la science-fiction moderne, pourriez-vous nous parler du travail qu’elle vous a donné, et de l’impact de l’ouvrage en francophonie ? J’ai entendu dire que le formidable boom éditorial de la SF dans les années 1970 était dû en grande partie à votre livre.

Célèbre ? Dans un tout petit milieu seulement. Pivot ne voulait pas en
parler comme le lui demandait Michel Lancelot car il jugeait le livre sans
importance. Le travail ? J’ai beaucoup lu, des années durant, et évité de saire des fiches, sources d’erreurs. En fait j’ai dicté l’ouvrage à un dictaphone, chaque livre ou magazine en mains, précisément pour éviter les erreurs. Aucune idée de l’impact du bouquin, il a eu de très nombreuses critiques et été généralement bien accueilli, je ne pense pas qu’il soit à l’origine du boom éditorial SF de l’époque. Il l’a accompagné, c’est tout.

Vous aviez choisi de détailler l’historique de la SF en grande partie en
suivant l’évolution des magazines anglo-saxons, et non de manière
‘théorique’, comme l’a fait Brian Aldiss dans Billion Year Spree ou thématique, comme Jacques van Herp dans son Panorama. Pourquoi ?


Parce que c’est l’ouvrage que j’aurais voulu pouvoir consulter quand j’étais un jeune fan. C’est le livre dont j’ai ressenti le manque. Brian Aldiss reconnaît qu’il en a été de même pour lui, mais lors de la rédaction de sa propre “histoire”, il a voulu s’adresser à la critique littéraire non aux nouveaux amateurs.

Dans vos mémoires, les pages consacrées à Jacques Bergier sont très belles. Tant d’années après, que reste-t-il du Matin des magiciens  ? Et quelle est, en vous, la part de l’amateur d’ésotérisme ? Est-elle due à ce “scribe des miracles” ?

Bergier était un ami proche et sa mort a été une grande perte pour moi, mais j’ai peur qu’il ne reste pas grand-chose aujourd’hui du mouvement du “réalisme fantastique”. L’ouvrage qu’il a coécrit avec Pauwels et Planète sont bien tombés dans l’oubli. C’est Lovecraft qui m’a influencé, non Jacques, et je ne me définirais pas comme amateur d’ésotérisme. Je m’intéresse à la littérature de l’Imaginaire, qu’il s’agisse de romans ou de traités de démonologie, mais rien de tout cela n’est réel à mes yeux.

Le Club du Livre d’anticipation chez Opta était un peu “La Pléiade” de la SF. Pourriez-vous nous conter rapidement non son origine, car vous en parlez abondamment dans votre livre, mais vos choix et votre ligne éditoriale ? Et nous dire un petit mot sur Les Seigneurs de l’Instrumentalité de Cordwainer Smith, ou sur la fameuse saga de Gor de John Norman, tiens, pourquoi pas ? Allez, allons-y : quel est votre CLA préféré ?

J’ai quitté OPTA après le 14e CLA (Slan de van Vogt) et ce n’est pas moi qui ai choisi Smith ou Norman. Mon idée était de poursuivre dans la lignée du Rayon Fantastique, en publiant des suites restées inédites (Fondation, le cycle d’Isher) et ses meilleurs auteurs. Une consultation des lecteurs de Fiction et Galaxie a confirmé mes choix. Les deux romans de Sturgeon, retenus par moi, ne sont parus qu’après mon départ pour des questions de contrat. Je n’ai pas de CLA favori, mon ouvrage préféré est le recueil Fictions de Jorge Luis Borgès.

L’une des créations dont vous devez être le plus fier est probablement celle des recueils de nouvelles issues des ‘pulps’ américains. Que n’avons-nous rêvé en lisant Old faithful, The
Ivy War, One Prehistoric Night
ou A Martian Odyssey  ! Dites-nous
comment vous avez choisi, parmi des milliers de titres
sans doute, ces nouvelles d’un autre âge ? Et comment cette
collection fut-elle reçue dans la France des années 1970 ? Moi,
j’avais adoré, par la barbe d’un bouc vert !


En rédigeant mon Histoire de la S-F moderne, j’avais déjà repéré pas mal de nouvelles méritant d’être traduites en français et j’en avais pris note (si vous comparez l’édition de 1973 de l’Histoire à celle de 1984, vous verrez que beaucoup de textes cités sont parus ensuite dans ces anthologies). J’en ai repéré d’autres en choisissant les illustrations de Hier, l’an 2000, et j’ai tenu compte des goûts des lecteurs de l’époque qui, chaque mois, votaient pour leurs textes favoris du numéro précédent. Un ou deux ans après la parution de ces deux livres, j’ai commencé à travailler à la série d’anthos et j’en ai parlé à Jacques Bergier qui m’a proposé de regarder les sommaires lors de ses visites chez moi et de m’indiquer toutes celles dont il se souvenait. Il avait ajouté : “Méfiez-vous, je suis un aveugle du style”. Le choix final est venu du mélange de toutes ces sources.

Venons-en à ce qui doit être également une autre de vos fiertés : la série de nouvelles publiées dans la collection Univers 01, 02 etc. Elle n’a malheureusement pas duré très longtemps.

Commentez-nous vos choix d’auteurs, votre ligne, et l’impact de la collection sur les jeunes générations.


Les lecteurs voulaient toujours des livres des anciens auteurs (Asimov, van Vogt, Simak) et boudaient les nouveaux. J’ai conçu Univers pour faire découvrir des nouvelles de ces nouveaux écrivains et permettre ensuite de publier leurs romans. Yves Frémion a été le responsable principal d’Univers du n°2 au 17, le bouquin était alors trimestriel, puis j’ai repris pour les trois premières anthologies annuelles (1980 à 1982). Après un fort démarrage, les ventes n’ont cessé de baisser à partir du n°5, c’est pourquoi Univers est devenu annuel puis a disparu. Quant à l’impact, ce n’est pas une chose quantifiable, il faut poser la question aux auteurs français.

Vous nous parlez beaucoup, et très plaisamment, des conventions SF d’antan. Vous y rendez-vous encore ? Quelle est votre impression sur ce ‘petit monde’ des conventions, souvent critiqué en tant que ghetto d’aficionados ? Et que pensez-vous des conventions francophones ?

Je n’ai assisté à aucune World Con depuis plus de dix ans, mais
peut-être irai-je une fois encore pour rencontrer des auteurs amis. Dans les conventions anglo-saxonnes, j’étais un fan par rapport aux écrivains, ce qui me convenait. Dans les conventions françaises, c’était l’inverse et cela me gênait, en d’autres termes j’aime bien être du bon côté de l’objectif, c’est-à-dire derrière.

Vous vous livrez, dans votre livre, à quelques réflexions un peu désabusées sur d’importants phénomènes de société tels la télévision, Internet, ou même la religion ? Pourquoi ce pessimisme ? Heureusement, la dérision et la Nature semblent vous protéger.

Votre question mélange trois choses. La télévision présente des programmes (jeux, télé-réalité) de plus en plus débiles, et cela ne fait que s’aggraver (sans parler de la footballomania qui règne à l’heure où j’écris ces lignes). En revanche je suis tout à fait pour Internet qui est un extraordinaire pont entre les hommes, même s’il est parfois dévoyé, et je l’utilise quotidiennement. La religion fut l’opium du peuple, on l’a assez répété, elle est maintenant l’aiguillon de tous les fanatismes, que ce soit entre chrétiens (protestants contre catholiques en Irlande), entre descendants d’Abraham (sémites israélites contre sémites musulmans),
etc. On tue toujours au nom du “vrai dieu” et c’est le concept de ce dieu unique qui est inacceptable, puisqu’il est différent dans chaque religion. Même les Aztèques, peuple avide de sang, étaient plus civilisés, ils dressaient un temple pour les dieux de chaque peuple conquis. Ainsi j’apprécie en ce moment Centzon Totochtin (Quatre cents Lapins) : un dieu qui se nomme 400 Lapins (et protège la vigne et les récoltes) ne peut encourager le fanatisme.

Question, classique : vos projets. Allez-vous poursuivre l’écriture de romans, d’essais, ou, plus simplement, sacrifier, dans votre jardin, au dieu Shamphalaï ?

J’ai d’abord écrit, en 1999/2000, un roman fantastique (étiqueté
fantasy) Chronique des dragons oubliés, une sorte de parodie où les forces du bien sont conduites par un démon et dont l’une des héroïnes est shampouineuse (Robert Silverberg m’a dit : “Impossible, Jacques, dans ce genre de livre il ne peut pas y avoir de shampouineuse !”). Il est paru chez Flammarion, sa suite Chronique de la mana perdue (2001/2002) est restée longtemps inédite du fait de la mort de mon ami Jacques Chambon et de la disparition de sa collection. Finalement les deux parties sont parues en J’ai lu en 2005 sous le titre Shaggartha.. Puis, à la suggestion de ma fille, Barbara, j’ai rédigé un livre de souvenirs,
C’est dans la poche ! en 2002/2003. Bragelonne l’a publié en 2006 après plusieurs refus. En 2004, j’ai écrit un roman historico-fantastique,
Le ballet des sorcières, qui vient de sortir aux éditions du Rocher, il se situe à la fois en 2006 (d’abord) et en 1609 (ensuite) avec interférences entre les deux époques. En 2005, j’ai rédigé un autre roman mêlant fantastique et histoire Le miroir de Drusilla (à paraître en 2007), ladite Drusilla étant la soeur bien aimée de l’empereur Caligula. En ce moment, et pour des mois encore, je travaille sur un livre mêlant le fantastique à la conquête du Mexique par Hernán Cortés en 1519 (d’où le dieu 400 Lapins). Je ne pense donc pas avoir chômé.

Dans la critique de vos mémoires, je déplorais un tout petit peu que vous ne vous exprimiez pas sur l’évolution de la SF, vous qui l’avez suivie depuis votre naissance en 1956. C’est ici l’occasionde vous rattraper. Dites-moi ce que vous pensez du succès actuel de la SF en publicité, jeux vidéo, films, de la position écrasante de la fantasy, des listes de discussion SF sur Internet, de la jeune SF francophone qui monte, des auteurs non anglosaxons,... Bref : où en est la SF en 2006 ?

1956, naissance de l’auteur dirons-nous, sinon 1934 pour l’état-civil. J’ai passé ces dernières années à étudier des textes tels que le Tableau de l’Inconstance des mauvais anges et démons, de Pierre
de Lancre, le Manuel de l’inquisiteur de Nicolau Eymerich ou le Malleus maleficarum, etc., pour les sorcières, puis des livres de Tacite, Sénèque, Pline, Suétone, Flavius Josèphe ou Dion Cassius pour Drusilla, et depuis deux ans je travaille sur La conquête du Mexique de Bernal Diaz, La historia de la conquista de Mejico de Solis ou Le crépuscule
des Aztèques
de Léon-Portilla, etc. À l’exception de trois ou quatre livres écrits par des amis (Neil Gaiman, James Morrow, etc) je n’ai lu aucun roman (SF ou autre chose) depuis six ans. C’est pourquoi je n’ai pas abordé l’évolution de la SF dans mon livre de souvenirs ; vu de l’extérieur la place qu’occupait la littérature semble avoir cédé la place au
cinéma et aux jeux vidéo. Je suppose que ces derniers sont pour la jeune génération ce qu’étaient les pulps pour leurs aïeuls, il faut savoir vivre avec son temps.

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