ROLLIN Jean

Réalisateur: 

Nous sommes au salon du livre de Paris, sur le stand des éditions Edite, où vient de paraître le dernier livre de Jean Rollin, et où le cinéaste-écrivain, entre deux signatures, nous a accordé une petite interview.

Jean Rollin, peux-tu nous parler de tes « Mémoires d’un cinéaste singulier » ?

Difficilement, car je n’aime pas parler de moi et c’est mon histoire…

Le titre est excellent !

Il n’est pas de moi, mais de mon éditeur — sauf le début « Moteur, coupez ! »


Qu’y racontes-tu ?

L’itinéraire du cinéaste, agrémenté de quelques digressions personnelles.

Tu y abordes ton enfance, tes influences ?

Oui, et également ma vie de directeur de collection. Il y a un chapitre sur les auteurs que j’ai découverts — même si « découvrir » est un bien grand mot.

Faisant partie de ces auteurs, je revendique que tu m’aies découverte !

Non, car contrairement à mes autres auteurs, toi, tu étais déjà publiée !

Oui, mais le fait de me retrouver dans cette collection où je me sentais bien, et sous ta direction, a été fondamental ! Mais on est là pour parler de moi, pas de toi.

Il fallait que nos destins se rejoignent…

Je t’ai d’abord connu comme cinéaste, puis comme éditeur et comme auteur... Tu as énormément d’activités !

Oui. J’en ai quelques-unes.

Au sujet de ton livre, quelle est cette femme, en couverture ? On s’attendrait plutôt à trouver un portrait de toi !

C’est Ovidie, la vedette de mon dernier film : « La nuit des horloges ». Une nouvelle Brigitte Lahaye !

Une actrice de film X ?

Oui, elle a été une grande vedette mais ne joue plus actuellement. Elle a écrit deux ou trois choses sur le sexe et je la trouve très bien car c’est une fille intelligente et cultivée. C’est une anarchiste qui revendique ses prises de position politiques. Elle est marginale et c’est ce que j’appelle une femme libre. Elle est couverte de tatouages.

Tu as donc renouvelé avec elle l’expérience que tu avais initiée avec Brigitte Lahaye, c’est-à-dire permettre à une actrice de film X de tourner dans des véritables films. Ce qui est intéressant et pour elle et pour toi qui découvre à nouveau des talents inexploités.

(On approche une assiette avec des apéritifs asiatiques et Jean Rollin, plutôt que de répondre à la question, me dit d’un air malicieux :) Tu te souviens quand nous avons été dans un salon où nous sommes allés nous cacher pour manger…

Oui, c’était lors d’un cocktail ultra-chic au Ministère de la culture. Nous ne nous sentions pas vraiment à notre place, aussi avons-nous pris un plateau et cherché un petit coin tranquille, loin de la foule, pour le grignoter en papotant... Mais revenons à la littérature, Salon du Livre oblige. En dehors de ces mémoires où on découvre Jean Rollin, celui qui se tapit derrière films et livres, tu as publié bien d’autres choses !

Une trentaine de romans.


Tous fantastiques ?

Oui, à part mon dernier qui est autobiographique !

Comment expliques-tu cette fascination pour la mort qu’on retrouve dans toute ton oeuvre ?

Je n’explique pas... En fait, je ne suis pas fasciné par la mort puisque tout ce que j’ai écrit tend à démontrer qu’elle n’existe pas.

Selon toi, la vie après la mort est une autre existence marginale et parallèle, c’est ça ?

Je ne dis pas que j’y crois mais j’aimerai que ce soit ainsi.

La vie rêvée de Jean Rollin transparaît dans ton œuvre cinématographique et littéraire. Mais quelle part d’autobiographie – rêvée ou réelle – y a-t-il dans tes livres et tes films ?

Dans mes films, pratiquement rien. Dans mes livres, la part est beaucoup plus importante.

Tu fais allusion, je suppose, aux souvenirs d’enfance qu’on retrouve dans certains de tes romans ? Et toujours à cet « après la vie » qui est ton univers propre ?

Si on veut.

Parle-nous du « Viol du vampire », qui est un film culte, aujourd’hui.

C’est un film amateur, mon premier film. Je ne savais pas grand chose sur l’art du tournage. On a eu des problèmes. Par exemple, on avait tiré autant de scénarios que de membres de l’équipe, mais pas un seul de plus. On tournait dans un bled à une quarantaine de kilomètres de Paris, et, au bout de 3 jours, il ne restait plus un seul scénario. Certains les avaient été perdus, d’autres les avaient oubliés dehors, il avait plu dessus… ils étaient inutilisables. Même moi, je n’en avais plus. À cette époque, il n’y a avait pas d’ordinateurs ; on a du en commander d’autres à Paris. Il a fallu attendre quatre jours avant que les copies soient postées et nous parviennent. Or, on ne pouvait pas se permettre d’attendre. Alors, on a tourné sans scénario durant 4 jours, en improvisant totalement. J’ai découvert ainsi l’improvisation.

Est-ce la raison du coté ésotérique de ton film ? Beaucoup de gens se plaignent de ne pas l’avoir compris...

Tu peux dire tout le monde !


Ce film est sorti en mai 68. Quand même un fait particulier !

Et qui m’a bien servi ! En mai 68, personne n’osait sortir de nouveau film. Toutes les salles étaient donc libres. J’ai eu 4 belle salles — dont une boulevard St Michel — et, qui plus est, vu que c’était la seule nouveauté, les critiques, qui n’avaient rien à se mettre sous la dent, sont venus le voir en masse et l’ont chroniqué. Ce fut une volée de coups de bâtons, comme on n’en avait jamais vu, le Figaro en tête !

Ton film a été mal reçu ?

Très mal !

Et c’est dû à quoi ? Au fait que personne ne le comprenait ?

Oui, les gens pensaient qu’on se moquait d’eux. Comment dire ? Les fanatiques du fantastique étaient perdus.

Ils n’y trouvaient aucune des critères connus ?

Voilà ! A l’époque, le cinéma fantastique, c’étaient les films de la Hammer. La référence absolue des amateurs du genre ! Or ce n’était pas du tout l’esprit de mon film !

On le dit « surréaliste ».

On le dit aussi dadaïste.

Ressort-il encore en salle aujourd’hui ?

Non, c’est fini. Les copies sont usées ou ont disparu. Il n’en reste qu’une seule, retrouvée par hasard. Un jour, je roulais sur le boulevard Sébastopol avec mon assistante Véro, quand, en passant devant le « Brady »*, nous apercevons « Le viol du vampire », à l’affiche. Je m’arrête, convaincu qu’on m’avait volé mon titre, je regarde les photos ; c’était bien mon film ! Alors, je me suis manifesté. J’ai été demander au directeur de la salle comment il se l’était procuré. « Dans la cave d’un vieux cinéma », m’a-t-il expliqué. J’étais tellement content d’avoir récupéré une copie que je ne lui ai pas fait payer les droits d’exploitation.

* Brady : salle bien connue de tous les amateurs de films de série B

Maintenant, il existe en DVD ?

Oui, les négatifs sont sauvés.

Ton film « Les deux orphelines vampires » est-il l’adaptation du livre ou le livre est-il tiré du film ?

D’abord le livre est paru en 5 volumes, au Fleuve Noir. Le scénario est tiré des deux premiers volumes.

Est-ce que c’est le seul de tes films dont il existe une version écrite ?

Oui, oui. Ce sont deux choses différentes, écrire et filmer…

Que préfères-tu ?

Ça dépend des moments. Quand j’écris, je commence sans savoir si ce sera un film ou un livre et très très vite, cela s’impose de soi-même.

Est-ce que tu penses que ton public est le même pour un film et un livre, ou qu’en publiant des livres, tu te tournes complètement vers un autre public ?

Je ne connais pas mon public, mais un de mes meilleurs amis a écrit : « Quand on lit un de ses livres, on croit voir un de ses films et inversement ».

On retrouve l’artiste dans toutes ses œuvres. Car on le sait maintenant que tu es un cinéaste culte dans des pays anglo-saxons. Tes livres sont-ils traduits ?

Non, à part « Les deux orphelines vampires ». Les jeunes, à l’étranger, ne savent pas que j’ai écrit des livres.

C’est regrettable puisqu’on te retrouve autant dans l’un que dans l’autre !

Mais je crois que maintenant les gens lisent beaucoup moins et vont beaucoup plus au cinéma.

Comment expliques-tu l’engouement qu’il y a chez les jeunes pour tes films ? Car si ta génération t’a boudé, ton public aujourd’hui est très jeune.

La jeune génération est beaucoup plus proche des adultes que la génération d’avant. Moi je lisais des bandes dessinées pour enfant jusque 16 ans et ma petite-fille de 12 ans lit mes livres.

Si, dans le futur, une de tes œuvres, en littérature ou en cinéma, devait t’immortaliser, laquelle souhaites-tu te voir survivre très longtemps ? Qu’est-ce qui te caractérise le plus dans tout ce que tu as fait ?

Je dirai que c’est un de mes livres, un recueil de 5 textes qui s’intitule « Rien n’est vrai ». Toute ma vie y est contenue. Sans cela, si je devais choisir un livre qui, à mon avis, n’est pas mauvais, je dirai « Déraison ». C’est mon livre le plus mûr, si tu veux.

« Déraison » qui a été publié…

... par moi ! Ce que j’ai publié comme éditeur est très confidentiel et peu de gens l’ont lu. Mais il ressortira dans mes œuvres complètes, ici, chez Edite.

C’est une excellente nouvelle ! Quand est prévue cette réédition ?

Fin d’année pour les deux premiers volumes (il y en aura cinq). Et j’ai aussi commencé un nouveau livre mais cela vient lentement !

Peux-tu nous en parler ou est-ce un secret ?

Non, ce n’est pas secret, mais pour l’instant, c’est sous forme de notes. Ce n’est pas encore très défini...

As-tu d’autres projets pour 2009 ?

J’ai été assez gravement malade : opéré du cœur, eu un AVC, une transplantation rénale depuis 2 ou 3 ans. Je ne suis pas encore remis de l’opération du cœur. Là j’essaie de faire un film : le scénario est prêt et le financement presque réuni. Sur le thème de la Méduse, l’être mythologique. Et aussi, j’ai un roman un peu érotique à paraître en mai chez Edite, « Bille de clown ».


Donc malade ou pas, tu continues envers et contre tout à travailler, à créer !

Oui, mais malheureusement, je suis devenu plus lent. Avant je pouvais écrire un livre comme les « Voleuses de foudre » en 3 semaines, mais maintenant, je suis devenu très paresseux et très vite fatigué. Je ne travaille plus la nuit comme avant : je dors !

Même plus lent, cela n’enlève rien à ton envie et à tes capacités !

Non, mais en vieillissant, cela change certains côtés techniques. Maintenant, j’ai beaucoup de mal à écrire quelque chose de nouveau si le texte précédent n’est pas sorti. Là, j’attends la parution de « Bille de clown » pour m’y remettre.

On a fait un petit tour d’horizon. Veux-tu ajouter quelque chose pour les lecteurs de Phénix ?

Non, je n’ai rien à ajouter.

Où peut-on voir tes films ?

On les trouve en DVD, et ils sont également sur le câble où il en passe un tous les jours. J’ignorais cela (car je n’ai pas le câble) jusqu’à ce que je reçoive le montant de mes droits. Le chèque était si gros que j’ai cru qu’il y avait une erreur. Je craignais de devoir en rembourser une partie, mais non…(rires).

Bien, merci Jean pour cet entretien.

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