Papillons de nuit
Partout sur la Terre, les hommes meurent dans leur sommeil ou se transforment en tueurs sanguinaires. Le monde tel que nous le connaissons prend fin. Bien des années plus tard, rares sont ceux qui se rappellent la vie d'avant. Mary, elle, n'a pas oublié. Hantée par les souvenirs de sa famille, de la joie qu'elle a jadis connue, elle n'a d'autre choix que de se plier à son rôle d'aidante au sein d'un institut pour hommes. Lorsque l'occasion se présente, elle doit toutefois prendre une décision difficile. Va-t-elle s'accrocher au seul vestige du passé qui lui reste ou tout risquer au nom de l'égalité ?
Ce premier roman est absolument bluffant, à bien des niveaux.
Déjà, l'écriture : maîtrisée de bout en bout, sans faux pas ni facilité. Jane Hennigan parvient à happer le lecteur et lui permet de s'immerger totalement dans cette société post-apo. Pourtant, l'une des deux protagonistes est une vieille femme, antihéroïne au possible, avec ses douleurs et ses difficultés.
Ensuite, cette totale inversion des rôles entre hommes et femmes est plus qu'intéressante. En effet, l'autrice s'applique à imaginer ce nouveau monde, dans lesquels les hommes ne font plus office que de procréateurs, où ils sont livrés au bon vouloir des femmes, enfermés dès la naissance dans des lieux aseptisés dont ils ne sortiront jamais. Elles en prennent soin, comme s'ils étaient des enfants toute leur vie (ce qu'ils sont, d'une certaine manière), les dorlotent, les chouchoutent, leur racontent des histoires. Dehors, les femmes ont reconstruit une société matriarcale qui fonctionne du feu de dieu. Comme il est dit à un moment du livre, pourquoi regretter un temps où la femme était asservie, quand on peut enfin vivre libre, sortir sans craindre d'être agressée ?
Bien sûr, quelques dérives apparaissent (que je vous laisse découvrir). Mais elles sont presque mignonnes, comparées à ce qui arriverait aux femmes si la situation était inversée... Je ne sais pas si c'était voulu par Jane Hennigan, mais j'ai passé la totalité du livre à m'imaginer les situations décrites avec les hommes aux commandes : ce n'était pas joli-joli, alors que là...
Enfin, l'autrice pose très finement la question du bien-être individuel face à un modèle de société. La question qui va tarauder Mary et les autres, celle à laquelle elles opposent des arguments maladroits et parfois attendrissants. Jusqu'à quel point faut-il revenir en arrière, quand on sait l'oppression et la destruction du patriarcat ? Surtout quand le nouveau modèle fonctionne pleinement pour - presque - tout le monde. Dans ce "presque" réside toute une philosophie, un sentiment tenace qui persiste après lecture.
Un roman brillant.
Papillons de nuit de Jane Hennigan, J'ai lu, ISBN 978-2-290-40101-9, 8,40 €