Croisée des mondes (La)

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Cette trilogie de romans que Gallimard jeunesse vient de rééditer en un seul volume de 1024 pages (sommaire et postface inclus) semble une parfaite illustration de la « méthode Heinlein d’écriture de juveniles » : l’auteur prend une héroïne adolescente, et écrit l’histoire presque comme pour des adultes. A tel point que je me demande comment il est possible à un jeune lecteur de lire ce roman foisonnant sans disposer d’une masse de références historiques, religieuses, mythologiques et métaphysiques basées sur au moins vingt ans d’études.

Au début, ce roman semble à la fois une uchronie (la papauté y a été abolie après le pape Jean Calvin, les Skraelings, c.à.d. les Amérindiens, constituent des nations indépendantes, l’électricité y est qualifiée d’ambarie, terme qui peut perdre le lecteur, et même au moins une fois le traducteur ou l’éditeur original qui a laissé à un endroit le mot électricité…) et une fantasy puisque tout homme est accompagné de son daemon personnel, qui perd sa faculté de changer de forme à la puberté de son maître et qui meurt avec son maître.

Ceci étant, si les sciences sont souvent présentées d’une façon différente, nous rencontrons sciences et théologie, mais pas de magie, si ce n’est ce curieux instrument de divination, l’alethiomètre, sorte de mélange d’une boussole et d’un jeu de tarot. En fait, nous découvrons qu’il s’agit bien d’une pure science-fiction, et d’une histoire d’univers parallèles (le nôtre apparaîtra dès le second tiers de l’histoire), et que la magie est plutôt liée à une réflexion théologique. L’héroïne, Lyra, va découvrir soudain des vérités sur elle-même, sur son père qu’elle croyait n’être que son oncle, sur sa mère, enfin sur le monde qu’elle habite et où elle se retrouve au cœur d’une lutte politico-théologique née de la découverte d’une « Poussière » venue de l’espace qui a remis en cause les équilibres historiques. Il est difficile, même à l’adulte cultivé, de ne pas se perdre dans les arcanes de ce monde qui ressemble parfois au nôtre, et diverge d’une manière totalement inattendue à d’autres moments ; à partir du deuxième tiers, le lecteur rompu à la théorie des univers parallèles parvient à surnager dans le flot d’informations et de paradoxes.

Comment un tel livre peut-il être classé « littérature enfantine » ? La réponse est évidente et la référence aux Voyages de Gulliver, pour ne pas être explicite, tient de l’évidence. Comment ne pas voir dans le monde des mulefas un clin d’œil aux houhynims des Voyages ? Et, comme pour Gulliver, les trois étapes de ce roman (la première partie étant elle-même divisée en trois, même si elle se passe dans un seul « univers ») peuvent faire l’objet d’une lecture enfantine (simple suivi des épisodes et des découvertes de l’héroïne et de son ami Will, qui lui vient de « notre » univers) ou d’une recherche plus approfondie pour l’adulte qui essayera de suivre les arcanes du récit, et en particulier ses conceptions théologiques.

Raconter ce livre est impossible ; on peut remarquer que, comme tout grand roman, c’est l’histoire d’une quête, d’une initiation, d’un passage à l’âge adulte, celui d’une héroïne qui, comme souvent, est entraînée par une prédiction vers un destin qui changera son monde en même temps qu’elle-même. Lyra, élevée comme une orpheline au collège Jordan d’Oxford (qui n’existe pas dans notre univers), va découvrir qui sont son vrai père, sa vraie mère, puis être entraînée dans la lutte qui oppose tous ceux qui désirent libérer l’humanité du joug de l’Église à celle-ci, et ses parents entre eux. Sans savoir où son destin la mène, elle remplira son rôle dans cette guerre entre lumière et obscurantisme et assurera la victoire de la liberté, la création de la République des Cieux. Mais détailler les étapes de ce parcours demanderait (au moins) cinq cents pages de paraphrases.

Ayant lu le roman en traduction, j’ai buté sur certains « à-peu-près » sans savoir s’il s’agissait d’erreurs du traducteur ou de défauts de l’œuvre originale. Je ne les signalerai pas, car cela demanderait de gâcher des épisodes…

Bien entendu, comme toujours dans le cas de présentations intégrales, il vaut mieux disposer d’une édition en trois volumes pour la lecture et de l’édition en pavé de 1024 pages pour le rangement dans la bibliothèque !

Ce monument a fait l’objet d’une adaptation cinématographique dont le premier tiers (La Boussole d’Or, ou Les Royaumes du Nord s’ils reprennent le titre français) sortira en France le 5 décembre 2007… Je suis impatient de le voir …

Philip Pullman, La Croisée des Mondes, Traduction : Jean Esch, Gallimard Jeunesse, 1024 p.

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