Oppressions - From past to present
Des générations d'hommes et de femmes se sont battues, souvent jusqu'au sacrifice suprême, pour conquérir leur liberté face aux oppressions politiques ou religieuses. Mais au-delà de ces causes supérieures, nos vies quotidiennes, nos histoires personnelles recèlent pléthore d'oppressions auxquelles nous tentons de résister ou d'échapper, mais que nous reproduisons pourtant nous-mêmes inlassablement, génération après génération : le père, le chef, le sexisme, les croyances, les superstitions, le devoir, la patrie, la médecine, le nom, l'ascendance, les conventions sociales, l'idéologie, l'argent... Pouvons-nous un jour espérer nous affranchir de tout cela ?
Consciemment ou inconsciemment, nous multiplions les oppressions infligées, et du même coup celles subies. Tels des pompiers pyromanes, nous continuons à aspirer à la liberté dans un monde que nous nous employons à recouvrir de chaînes avec une application schizophrénique.
Cette première partie de recueil comporte 10 nouvelles réalistes ou mâtinées de fantastique qui invitent à réfléchir sur les oppressions du passé et du présent.
Ce recueil ne présente qu'un défaut, qui n'est même pas en relation directe avec l'écriture proprement dite : il est mille fois trop court ! On en redemande sitôt terminé !
Je ne vais pas m'amuser à vous présenter chaque nouvelle, l'auteur le fait lui-même très bien au tout début de l'ouvrage.Je me contente donc de préciser que les nouvelles avancent par ordre chronologique, se rapprochant de plus en plus de nous, dans une ambiance de plus en plus étouffante. D'ailleurs, rien que l'illustration de couverture, magnifique, donne le ton.Je ne vais pas mentir, les nouvelles ne sont pas toutes au même niveau de qualité, mais, considérant qu'elles se situent toutes dans la fourchette allant de très bon à excellent, Patrice Quélard n'a pas à rougir de son livre.
Chaque récit est mis en place avec une grâce littéraire qui entraîne une identification immédiate avec les personnages. J'ai retrouvé la plume exigeante et intelligente de Fratricide et Catharsis. Rien n'est laissé au hasard, chaque mot compte et trouve sa place dans un ballet dans lequel on se plaît à se perdre. Quand une nouvelle se termine, elle laisse une marque certaine, qui oblige à penser, à s'interroger, à se remettre en cause. J'ai eu la sensation que Quélard cherchait, consciemment ou non, à forcer ses lecteurs à se poser des questions sur leur rapport à l'Histoire, au passé et à établir des ponts avec le présent.Et moi, j'aime ça, qu'on m'oblige à ne pas me contenter de végéter dans une paresse intellectuelle confortable.
Plus les nouvelles avancent, et plus l'atmosphère épaissit, puisqu'on parle de choses qui nous sont proches et sur lesquelles nous avons un pouvoir direct (à ce titre, les deux dernières nouvelles sont des vraies torgnoles en pleine figure, je n'ose imaginer ce qu'il nous prépare pour le deuxième recueil !). Que ce soit dans le fantastique ou dans un réalisme cru, Fratricide nous manipule et nous emmène là où il désire que nous allions : face à notre miroir. Regardons-nous en face une bonne fois pour toutes. Méritons-nous le titre d'êtres humains ? Faisons-nous preuve de l'empathie et de la solidarité que notre capacité de penser pourrait exiger de nous ? Avons-nous le droit de nous croire meilleurs ou supérieurs ?
Comme dans Fratricide, je ressors de ma lecture avec le sentiment d'avoir affaire à quelqu'un qui ne sait plus comment obliger ses congénères à tirer des leçons du passé et qui crève de ne savoir comment leur dire « Aimez-vous, bordel, au lieu de vous entre-tuer dans vos conflits mesquins ! »
Mes deux nouvelles préférées (parce qu'il y en a quand même qui m'ont plus touchée, c'est purement subjectif) : La doléance, pour le personnage de Marie et son acharnement naïf, et Mémoires d'un plicaturé, pour l'humoir noir acide qui parsème ses pages.
Oppressions - From past to present de Patrice Quélard chez Amazon Media, ISBN-13 : 978-2955490440, 12,99€