Obsolète

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2224. Depuis le Grand Effondrement de la civilisation fossile et les crises qui ont suivi, l'humanité s'est adaptée. Économiser les ressources, se protéger du soleil, modifier son habitat, ses besoins, et adhérer au tout-recyclage.Y compris celui des femmes.Afin d'enrayer le déclin de la population, toute femme de cinquante ans est retirée de son foyer pour laisser la place à une autre, plus jeune et encore fertile. L'heure a sonné pour Rachel. Solide et sereine, elle est prête. Mais qu'en est-il de son mari et de ses enfants ? Car personne n'est jamais revenu du Grand Recyclage. Et Rachel sent bien que le Domaine des Hautes-Plaines n'est pas ce lieu de rêve que promet la Gouvernance territoriale aux futures Retirées...

Mais quel roman ! Assurément l'un des meilleurs qu'il m'ait été donné de lire au cours de ces dernières années. 

Alors, oui, c'est une dystopie, et rien que le mot va en faire fuir certains. Et pourtant, pourtant, quel dommage ce serait de passer à côté de ce petit chef-d’œuvre (n'ayons pas peur des mots) ! C'est une dystopie, puisque l'intrigue se déroule dans le futur, mais c'est également un thriller psychologique, puisqu'il y a des morts suspectes et qu'on y suit une enquête - même s'il ne s'agit pas de celle d'un flic -, et un roman noir en raison d'une dimension sociale et philosophique importante.

Avec Obsolète, Sophie Loubière sort de sa zone de confort, mais elle le fait de manière intelligente et approfondie, pour nous livrer un roman documenté, travaillé et aussi très inventif. Nous sommes dans un monde futuriste, mais très proche de nous - deux cents ans seulement -, dans une civilisation entièrement repensée. Après l'échec retentissant et, disons-le, "cuisant" de la précédente, hyperconsumériste et décadente au point de dilapider ses ressources sans vergogne et sans vision à long terme - la nôtre, soit dit en passant - tout est maintenant régi par le souci de l'empreinte carbone, de l'économie des ressources, de l'autosuffisance énergétique et de la natalité. L'espèce humaine souffre en effet de stérilité et il faut repeupler la planète après les millions de morts dont elle a souffert au moment du Grand Effondrement de la civilisation fossile. Dans cette nouvelle société, tout semble mieux : on a appris à vivre d'une manière plus logique et naturelle, plus saine, plus écologique, plus heureuse aussi. Par ailleurs, la violence et le meurtre ont disparu - ainsi que les religions, mais n'y voyez aucune relation de cause à effet. Quoique... Tout cela grâce au bracelet modérateur d'humeur qui régule, voire annihile les sentiments négatifs. Tout a l'air d'aller mieux dans le meilleur des mondes, hormis une chose : au regard de ce problème de stérilité déficiente, chaque femme est déclarée obsolète dès lors qu'elle atteint les cinquante ans et recyclée afin de laisser la place à une autre, plus jeune et plus fertile. Là n'est pas le plus étonnant, la femme est déjà soumise à l'heure actuelle et depuis toujours à une date de péremption : la ménopause. Il n'y a qu'à voir le nombre d'hommes mûrs avec de jeunes femmes, voire filles, et tout ce que les femmes utilisent afin d'essayer de prolonger leur jeunesse comme moyens, subterfuges, palliatifs ou recettes-miracles - régimes, sport à outrance, maquillage, chirurgie esthétique, et j'en passe - pour s'en convaincre. Non, le plus stupéfiant c'est la passivité qui est associée à ce recyclage. Tout le monde trouve ça normal et semble très bien le vivre, y compris les Recyclées elles-mêmes. Alors, il est vrai que le lavage de cerveau est effectué dès l'enfance, que leur départ est fêté en grande pompe, qu'on leur promet une retraite dorée sans aucune des contraintes liées à la vie d'épouse et de mère, mais qu'en est-il en réalité puisque personne n'est revenu pour en témoigner ? Nombreux seront ceux qui après avoir eu une pensée pour La servante écarlate, en auront une pour Soleil vert, mais cette histoire se révèle bien plus complexe que ça. Les chapitres en italique font office de fil rouge et nous éclairent en nous racontant la vie de Rachel et, à travers son histoire, celle des bases et du fondement de cette société nouvelle. 

Obsolète est un roman engagé et féministe qui fait la part belle aux personnages féminins, Rachel en tête, mais il est féministe dans le bon sens du terme, j'entends sans les excès et les débordements qu'on peut rencontrer à l'heure actuelle, qui sont à mon avis préjudiciables aux femmes elles-mêmes et à la juste cause du féminisme. D'ailleurs, il parle aussi beaucoup d'amour, de l'amour d'un père, d'un mari ou d'un fils. Le personnage de Keen est je crois mon préféré, parce qu'il incarne presque un idéal masculin au sein de, et surtout malgré cette nouvelle société. 

Enfin, alors que Rachel s'apprête à être recyclée et que sa famille vit un véritable bouleversement, l'inimaginable arrive : on retrouve trois corps. Des assassinats ? Cela n'était pas arrivé depuis plus de cent ans ! Comment est-ce possible ? Là intervient le côté suspense du roman, qui va nous faire découvrir encore une autre facette de ce monde "meilleur".

La plume est, quant à elle, riche, précise, tour à tour sensible et subtile ou aiguisée et tranchante, mais toujours choisie et travaillée.

Obsolète, vous l'aurez compris, est un roman qui développe plusieurs genres au travers de différentes thématiques très fortes, mais qui forme un ensemble complexe très cohérent, bourré d'inventivité, provoquant de nombreuses questions et poussant à la réflexion. L'autrice pose un regard lucide sur notre société et nous offre avec intelligence un roman passionnant, mais glaçant, voire terrifiant. Visionnaire ?

Obsolète, de Sophie Loubière, chez Belfond, 21,00€

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