NOTHOMB Amélie 01

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Avec son roman « Péplum », Amélie Nothomb entre-t-elle dans le monde de la science-fiction ? Bien sûr, une partie de l’action se passe en l’an 2580, mais est-ce suffisant ? On a écrit que ce livre, c’était bien plus que la version policière d’une des plus grandes manipulations de l’histoire de l’humanité, plus qu’un récit d’aventures ou qu’un roman fantastique. Après « Hygiène de l’assassin », « Le Sabotage amoureux », « Les Combustibles » et « Les Catilinaires », ce roman consolide la réputation d’écrivain polyvalent talentueux de l’auteur.


J.M. : Pour en finir une fois pour toutes : à votre avis, « Péplum »est-il un roman à classer dans la science-fiction ?

A.N. : Je dirais plutôt qu’il s’agit d’une parodie de S.-F. Je n’ai pas les moyens scientifiques d’écrire un vrai livre de science-fiction.

J.M. : Cependant si on considère que la S.-F. n’est pas uniquement celle des savants, mais une science très littéraire qui répond plus aux critères d’écriture que de la vérité scientifique ?

A.N. : Si S.-F. signifie « porte ouverte », alors oui !

J.M. : Avez-vous lu du fantastique, de la science-fiction dans votre enfance ?

A.N. : J’ai appris à lire toute seule dans les albums d’Hergé. J’adorais ça ! « Objectif Lune » (1953) et « On a marché sur la lune » (1954) bien entendu ; mais aussi les albums de BD d’E.P. Jacobs. J’ai pourtant un problème de définition avec la science-fiction. Je ne suis pas une spécialiste et je n’ai pas lu beaucoup de livres répertoriés dans de telles collections. Je n’ai pas lu les professionnels de la S-F.

J.M. : Parce que ce n’est pas de la grande littérature ?

A.N. : Je n’ai pas ce genre de réflexion. Si les critiques n’ont pas toujours bien considéré ce genre, on sait qu’ils avaient fait de même avec le roman policier, alors qu’aujourd’hui les critiques les plus écoutés s’y intéressent sans complexe. Le côté parfois enfantin, voire naïf de la S-F, ne signifie pas que ce n’est pas de la bonne littérature.

J.M. : L’avenir de la science-fiction ?

A.N. : Ce serait le comble qu’un genre littéraire parlant essentiellement de l’avenir n’en ait pas un lui-même ! Je crois que tout commence pour la S-F. Et je ne suis pas la seule à penser ainsi. Prenez Jacqueline Harpman, elle a dit une bien jolie phrase à ce propos : « La littérature en général met en scène des individus extraordinaires qui vivent des aventures ordinaires. La S-F met en scène des individus ordinaires qui vivent des aventures extraordinaires ».

J.M. : Comment expliquer le nombre de véhicules artistiques empruntés par la S-F ? La BD, dont nous avons déjà parlé, mais aussi et surtout le cinéma ?

A.N. : Parce qu’elle raconte toujours une histoire pleine de rebondissements, qu’on sait en abordant la S-F qu’on ne s’y ennuiera pas. Alors que l’introspection qui sévit dans le roman français en général est plus ennuyeuse.

J.M. : La littérature « normale » est ennuyeuse ?

_ A.N. : Aujourd’hui l’introspection n’a jamais été autant à l’ordre du jour, mais il n’en a pas toujours été ainsi. D’ailleurs l’aventure, la S-F ne datent pas de cette fin du XXe siècle : Cyrano de Bergerac ou Jules verne, par exemple ! (« Les États et Empires de la Lune », Savinien Cyrano de Bergerac : 1657 ; et « De la Terre à la Lune » Jules Verne : 1865.) N’oublions pas que la littérature peut être beaucoup de choses ; elle comporte des pistes multiples.

J.M. : Un roman apprécié en particulier ?

A.N. : Adolescente, j’ai découvert avec enthousiasme « Le Voyageur Imprudent » de René Barjavel (1943). J’ai aimé la dimension poétique de l’ouvrage.

J.M. : Un film apprécié en particulier ?

A.N. : S’il faut en choisir un, ce sera « 2001 l’Odyssée de l’Espace » (Stanley Kubrick – 1968). D’ailleurs on y est bientôt…

J.M. : Vous qui aimez les mots, il en est un qui revient souvent à propos de cette littérature dont nous parlons, c’est « Utopie ». Il vous plaît ?

A. N. : Thomas More a écrit à ce sujet (« La description de l’île d’Utopie », 1516). À propos de « Péplum », j’avais plutôt utilisé le mot plus rare d’« Uchronie ». « Utopie » me fait penser aux lendemains qui chantent… et l’on constate que ces lendemains se révèlent le plus souvent des cauchemars !

J.M. : On entend parfois dire que la science-fiction est une sorte de religion vivante, avec ses dogmes, ses hérésies. Gérard Klein ajoute qu’elle correspond à l’évolution de la société globale, à ses fractures et à ses malaises. Qu’en pensez-vous ?

A.N. : Quelle que soit la discipline artistique, on n’est jamais éloigné des sectaires. La science-fiction est proche des sectes… Voyez en Californie, la mort des adeptes qui souhaitaient se retrouver derrière la comète ! Tout est danger dès qu’on y croit, dès qu’il y a foi.

J.M. : L’histoire de la S-F parce qu’elle a été considérée comme une littérature mineure a abouti à une plus grande liberté, un irrespect qui lui est acquis. Est-ce une de ses caractéristiques ?

A.N. : Avec les genres majeurs aussi, on peut tout se permettre ! On écrit – et j’écris – ce que je veux… en toute liberté !

J.M. : Précisément, avez-vous un jour été tentée d’écrire vraiment un livre de S.-F ? Vous qui en écrivez bien plus que vous n’en publiez !

A.N. : Vous avez raison, « Péplum » est la seconde incursion dans ce domaine. Mon tout premier roman écrit à l’âge de 17 ans peut s’apparenter à la S-F. Je décrivais une société de l’avenir, qui vivait dans un grand œuf lancé dans l’espace. Le pouvoir politique vivait dans le jaune de l’œuf et le peuple dans le blanc. Une révolution a tout fait basculer et c’est une grande omelette spatiale qui continua d’évoluer dans l’espace infini jusqu’à la fin des temps…

J.M. : Vous vous souvenez de la victoire en mai du superordinateur Deep Blue contre le champion du monde des échecs Gary Kasparov. À cette occasion, Serge Lehman (« Wonderland ») déclarait que ce n’était qu’un début, mais qu’il n’était pas sûr que si un ordinateur accédait à la conscience, sa démarche passerait obligatoirement par un refus de ses créateurs. (Le Soir – 13-5-97)

_ A.N. : Comme la créature imite toujours son créateur, l’ordinateur imitera l’homme. Est-ce une bonne ou une mauvaise chose ? J’ai peine à croire qu’on pourra faire pire que l’homme ! Mais dans ces réflexions, ce qui m’étonne c’est qu’on s’étonne ! Il est normal que la machine batte Kasparov. L’ordinateur que nous avons créé nous dépasse et nous le savons depuis le départ…

J.M. : Le terme S-F est américain, comme son invasion en Europe francophone avec le jazz et les GI’s à la fin de la guerre 39-45. À votre avis, le rejet par la plupart des écrivains en place était-il un rejet culturel ?

A.N. : Les Européens sont naturellement et à chaque fois contre ce qui vient des États-Unis, mais cinq ans plus tard, en moyenne, ils font la même chose et c’est très bien ainsi. Comment ignorer un auteur aussi prestigieux que Philip K. Dick, par exemple, dans la S-F ? (1928-1982 : « Ubik ».) Le centre de la littérature aujourd’hui ne se situe plus dans la Francophonie, il est dans le monde anglo-saxon. Je ne dis pas ça avec plaisir, mais c’est la vérité.

J’apprends encore à Amélie Nothomb qu’un certain Louis-Sébastien Mercier avait écrit en 1771 : « L’an deux mille quatre cent quarante ». Hélas, contrairement à 2001, il y a réellement peu de chance que je vive cette année-là, décrite par un (peut-être ?) ancêtre de ma famille… à moins que la machine à explorer le temps… ?

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