Mara et Dann, L'histoire du général Dann

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Le premier, Mara et Dann, est un livre que je désirais lire depuis longtemps : j’ai apprécié d’autres romans de Doris Lessing, dont certains sont étiquetés (pas toujours à juste titre) « science-fiction » et d’autres, bien qu’étiquetés « romans », sont des œuvres d’anticipation à plus ou moins court terme. La déception n’en est que plus forte à la fin de ma lecture.
Parce que le monde décrit est assez difficile à raccorder au nôtre. D’accord, il s’est déroulé un temps très long depuis qu’une nouvelle ère glaciaire a anéanti toute vie humaine en Europe et en Amérique du Nord, et nous traversons une Afrique (rebaptisée Ifrik) qui a complètement perdu contact avec le reste du monde. L’héroïne, qui ne connaît que les pays qu’elle visite, aura l’occasion de voir une carte et même un globe terrestre datant de centaines ou de milliers d’années et apparemment, même si probablement marquées sure le globe à défaut de l’être sur la carte, l’Asie et l’Australie n’ont pas attiré son attention. Mais là où est le problème, pour moi, c’est que ce monde si lointain a encore des appareils (souvent hors d’usage, il est vrai) ou des matériaux qui remontent au temps « moderne » disparu... Ce qui est contradictoire avec un tel éloignement.

Ceci étant, ce qu’a voulu raconter Doris Lessing, c’est un conte ancien sur le voyage d’un frère et d’une sœur à travers le monde (ou ce continent qui tient lieu de monde) et à la découverte de celui-ci. Et l’idée sous-jacente est donc que certains caractères humains, certains actes, ne changeront pas aussi loin qu’on aille dans le futur. Ou, tout du moins, dans ce futur qui n’a pas connu de Singularité, mais un retour aux bases, aux nécessités primaires : se défendre contre la sécheresse, les incendies, les animaux nuisibles (qui seront ici des insectes qui prolifèrent dans le climat désertique) et les rivalités politiques, les invasions... On peut admettre cette base de récit. Comme il est parfaitement imaginable que, face à la sécheresse qui envahit le sud du continent, les héros veuillent partir vers le Nord mythique, là où l’eau réapparaîtrait du fait de la fonte des glaces européennes.
Et c’est là qu’est, pour moi, le problème majeur. Mara, la narratrice, est crédible et on suit son adaptation aux circonstances et aux découvertes qu’elle fait. Dann, son petit frère, réapparaît régulièrement soit pour l’aider à aller plus loin, soit au contraire pour lui causer les pires tourments. Entre le frère et la sœur, il y a des sentiments assez ambivalents et variables. Mais pourquoi, à partir du moment où Dann, âgé de dix ans, est parti, lui-même et sa sœur se comportent-ils tous deux comme s’il était, du seul fait de son sexe, le chef de famille ? Cet à priori est tellement inconscient que, à part une fois et sans suite, Mara ne remet pas en question la chose. Mais même Dann, encore plus tous les autres personnages à part Mara, présente un manque de profondeur psychologique énorme. Doris Lessing ne s’intéresse qu’aux problèmes et recherches de Mara.

Encore une chose que je ne sais pas comment évaluer : presque à aucun moment il n’est fait mention de « races » différentes. Apparemment, même si les différentes ethnies considérées ont des traits caractéristiques marqués, s’il est parfois fait mention de la couleur noire (par rapport à la moyenne) de certains ou du teint jaunâtre des Hadrons (seraient-ils d’origine asiatique ?), cette Afrique lointaine est presque complètement noire. Les héros appartiennent au « Peuple », les Mahondis, qui ont, lors d’une période intermédiaire, dominé toute l’Afrique. Et nous verrons vers la fin du roman des Albains, descendants des Européens. Les Nord-Africains blancs (berbères et sémites) semblent avoir disparu sans laisser de trace.

Et un « deux ex-machine » totalement invraisemblable, ces vingt-quatre pièces d’or qu’a hérité Mara et qui, à chaque impasse, lui fourniront une issue imprévue. Ces pièces dont personne ne semble connaître la valeur, mais qu’il est toujours possible d’utiliser pour payer une partie du voyage, ou pour obtenir de l’argent à un taux aléatoire. Ce qui rend la chose totalement invraisemblable, c’est qu’il n’est fait allusion à aucun autre objet en or ou à des monnaies d’or qui existeraient dans certains pays. Alors comment valoriser ce trésor ? Sur quelles bases ? Que vont faire de leur or ceux qui ont accepté une ou plusieurs pièces ? Sur ce sous-entendu économique, pas la moindre explication.

Que reste-t-il à la fin du livre ? Un conte curieux, agréable à lire comme un conte irrationnel.

 

Mais ce roman a une suite curieuse : L’histoire du général Dann, dernier roman publié par Doris Lessing, raconte la suite de l’histoire de Dann, alors que Mara est morte en donnant naissance à sa fille. Et le périple de Dann à la découverte des terres habitées de l’ex-Méditerranée, puis comment il deviendra le symbole d’une tentative de reconquête d’un pays en déshérence, Toundra (la Lybie ?). Mais de fait, si Dann est le héros de la première partie du livre, son voyage dans les Îles de la nouvelle mer et qu’il présente pendant ces quelques chapitres un caractère affirmé, il redevient un simple personnage secondaire dans la suite et c’est le jeune Griot, qui a créé et organisé une armée sous couvert de sa réputation d’ex-général, qui va être le véritable héros de la suite du livre.

Complément intéressant à la quête de Mara et Dann, cette histoire nous apprend seulement que la vie continue, avec des vicissitudes et des espoirs toujours renouvelés, mais toujours semblables...

Doris Lessing
Mara et Dann, traduit par Isabelle D. Philippe, J’ai Lu Roman n° 6695, 2008 (retirage 2014), 665 p., couverture de John Lund, 8€90, ISBN 978-2-290-32958-0
L’histoire du général Dann, traduit par Philippe Giraudon, J’ai Lu Roman n°10670, 2014, 317p., 7€60, ISBN 978-2-290-07703-0

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