Haut-lieu et autres espaces inhabitables (Le)

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Illustrateur / Dessinateur: 


Un grand appartement oublié de l’île Saint-Louis dont les portes et les pièces disparaissent les unes après les autres...

Un bureau secret du ministère de l’Intérieur chargé d’explorer la banlieue parisienne pour y trouver les preuves de l’existence de Dieu...

Une entreprise géante qui fait surveiller ses employés par des espions semi-visibles...

Une ville utopique construite d’après Fritz Lang et hantée par un mystérieux « Charbonnier »...

Six histoires étranges, drôles, tragiques, métaphysiques. Six plongées dans l’abîme pour découvrir ce qui se cache de l’autre côté de la réalité. À mi-chemin entre Jules Verne et Jorge Luis Borges : bienvenue dans le monde de Serge Lehman.

J’ai souvent entendu parler de Serge Lehman mais n’ai jamais vraiment creusé le cas du monsieur, c’est donc sans savoir dans quoi j’allais mettre les pieds que j’ai débuté ce recueil. J’ai d’ailleurs une petite remarque rapide à glisser sur ce début (ou presque). Encore une fois, on se retrouve confronté à une préface qui en dit beaucoup trop et que j’ai arrêtée en cours de route, parce que je ne voulais pas qu’on analyse ce que j’avais encore à découvrir. J’ai déjà fait cette remarque plusieurs fois ici, et, oui, je sais que rien n’empêche le lecteur de revenir au début du livre après l’avoir fini pour découvrir la préface délaissée, mais bon, je le fais rarement, à cause d’un bête truc psychologique auquel je n’échappe pas : la satisfaction du livre terminé. Donc s’il vous plaît, messieurs les éditeurs, les postfaces, c’est bien. C’est très bien même. Vraiment. Promis.

Donc, Le Haut-Lieu. Cette première nouvelle m’a complètement happée. Longue d’une centaine de pages (un tiers du livre), elle se lit d’une traite (se dévore même, pour être exacte). Elle m’a étonnée, intriguée, puis glacée le sang. J’ai été complètement prise par cette histoire d’une représentante immobilière faisant visiter un appartement grandiose (mais oublié) dans un Paris dont les habitants sont partis en vacances, et se retrouvant bloquée avec son client potentiel dans cet endroit qui se « referme » peu à peu sur eux. J’ai du mal à expliquer concrètement ce qui m’a tant plu ici. L’écriture n’est pas particulièrement remarquable, même si très agréable, et les clichés sont quand même assez présents (le jeune et bel artiste plein aux as, la demoiselle qui tombe sous son charme, etc.). Mais il y a quelque chose de spécial, une ambiance, une atmosphère, l’incroyable et efficace simplicité du procédé qui fait frissonner, et pas qu’un peu. Le tout semble être en état de grâce, et justifie à lui-seule la lecture de ce recueil.

A lui seul, c’est justement un peu le problème... Parce qu’après le choc initial, vraiment puissant, le reste semble tout à coup fade. Le Haut-Lieu est une histoire classique, certes, et à la résolution un peu facile, mais quand même très plaisante. Après celle-ci, on se retrouve face à un tout autre univers littéraire (ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose, en fait). Dans les cinq nouvelles suivantes, Serge Lehman va changer de style (peut-être d’influence ?) et nous emmener dans des mondes imprécis et parfois, malheureusement, un peu plus brouillons. En soi, l’aspect flou de ces univers décrits aurait pu être un (sacrément) bon élément de séduction en ce qui me concerne. Mais si je prends l’exemple de la deuxième nouvelle du recueil, Le Gouffre aux Chimères, intrigante pourtant, remplie de très bonnes choses surtout, il semble être un peu trop haché, constitué de morceaux assemblés pour donner l’illusion d’une création fortuite peut-être, mais qui a sonné quelque peu « faux » pour moi. J’ai eu l’impression d’effleurer de nombreux passages incroyablement prometteurs et de les voir filer sous mes doigts sans pouvoir en profiter. Plutôt frustrant.

Dès lors, Lehman m’a un peu perdue pour le reste du recueil, que j’ai lu sans déplaisir mais sans plus me retrouver dans l’état extatique entraîné par Le Haut-Lieu (et pourtant, les références avancées par la suite étaient à même de me séduire). J’ai été emballée par quelques idées, par quelques univers, sans pour autant en arriver à apprécier une nouvelle dans son entièreté, toujours à cause de cette impression de voir plein de promesses ne jamais réellement se concrétiser. Comme dans La Régulation de Richard Mars, dont le côté SF m’a largement moins intéressée que les quelques - trop courts - passages plus « personnels », sans éléments autres qu’une sorte d’entrée intime dans un couple qui s’est défait et que j’ai appréciée. Mais qui se retrouvait donc noyée sous le prétexte science-fictif l’entourant et l’étouffant au lieu de la magnifier.

Au final, de ce recueil, je retiendrai surtout la première nouvelle, Le Haut-Lieu, qui sous ses aspects anodins m’a offert un moment de lecture intense et angoissant, comme je n’en avais plus vécus depuis longtemps. Mais le reste, à cause d’une profusions d’idées éclatées rarement exploitées jusqu’au bout, je dois bien dire l’avoir déjà un peu oublié. C’est dommage.

Le Haut-Lieu et autres espaces inhabitables de Serge Lehman, illustration de Damien Venzi, Folio SF, 304 pages

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