LAMBERT Christophe 01
Jongleur d’Univers
D’abord, Christophe Lambert a chassé sur les terres de la littérature « jeunesse », lançant à la face du monde des romans aux qualités plus trempées que celles des films de son malheureux homonyme-acteur. Ensuite, Bénédicte Lombardo, subtile éditrice du Fleuve Noir, lui ouvre enfin les portes d’une collection « adulte » où son sens du grand spectacle et des canevas pas comme les autres va pouvoir donner sa pleine mesure. Dans un premier temps, cela donne « La Brèche », où les plages de Normandie sont soudain envahies par des robots géants aux couleurs de l’armée nazie. Ensuite, il lance des hordes de Zoulous dans les ruelles et les égouts du Londres victorien. Enfin, cette année, il télescope à nouveau deux univers, celui de Tolkien et celui du Pont de la Rivière Kwaï (avec une pincée de Messager du Vent et un zeste de Predator pour relever le tout !) dans Le Commando des Immortels. Décidément, Christophe Lambert ne fait rien comme tout le monde. Alors que la jeune génération montante du thriller, s’emploie avec des succès variés, à reproduire le modèle américain, que Bernard Werber se peint lui-même des cibles rouge vif sur la poitrine pour permettre aux critiques de mieux l’abattre, ou que Guillaume Musso se creuse les méninges pour tricoter une nouvelle déclinaison des amours impossibles mâtinés de fantastique-merveilleux, l’ami Lambert poursuit imperturbablement une oeuvre personnelle, dont les inspirations sont transparentes, mais dont la finalité est de divertir, interpeller et si possible, pousser à la découverte.
Le Commando des Immortels débute donc, en pleine Seconde Guerre mondiale, alors qu’un envoyé du gouvernement américain tente de convaincre les Elfes, parqués sur le territoire US comme les native americans de « notre » réalité, de venir en aide aux troupes coincées dans la jungle birmane. Oui, des Elfes et des humains, dans la « vraie » Seconde Guerre, Christophe Lambert joue donc encore avec les univers et les fils de l’uchronie. Une malédiction ? Ou une « ligne de conduite » pour l’écrivain ? « Une orientation certaine dans mes envies, mes pulsions d’écriture. J’adore me documenter. J’adore l’histoire. Et surtout j’adore violenter, « uchroniquement parlant », cette vénérable dame : cela permet de déboucher sur des configurations étonnantes, des télescopages ».
La première surprise passée, soit la présence des Elfes tout droit sortis du Seigneur des Anneaux au coeur même de cette histoire, Lambert réussit la passe de deux : l’arrivée de J.R.R Tolkien dans le récit ! Pour les amateurs, le déroulé de l’aventure prend même des allures de solide clin d’oeil lorsqu’on y retrouve la structure, légèrement remaniée, de la Communauté de l’Anneaux. Christophe s’en explique : « Le postulat du livre, la thèse qu’il défend, c’est que « toutes les grandes histoires mythiques se ressemblent ». Donc l’itinéraire de ma « communauté » était dès le départ conçu comme un remake (au niveau de la structure) du SDA tome 1… qui lui-même présente d’étranges similitudes avec le STAR WARS de 77, par exemple. Le grand frère (Solo/Aragorn) - modèle phallique (gros flingue/grosse épée) - est rencontré dans les deux cas dans une auberge. Le mentor (Ben/Gandalf) meurt en se sacrifiant pour que ses amis s’échappent du « ventre de la baleine » (étoile noire/Moria), etc. Le héros vient d’un petit bled (Comté/Tatooine) etc. Par contre, certains parallèles ne se sont dessinés qu’en cours de route : l’officier japonais mort qui évoque à Tolkien des réflexions similaires à celle de Sam (« d’où venait-i l ? Etait-il mauvais ? ») ou encore le personnage de Tatsuya, qui renvoie à Gollum (« faut-il faire preuve de pitié et si oui, sera-t-elle récompensée au final ? »)… Pour ce qui est de certains archétypes, je brouille les cartes. Chez moi, le personnage du « grand frère » est symbolisé par les cinq elfes. Tolkien est à la fois « héros » et « mentor ». La halte dans le havre de paix (le village indigène) arrive AVANT « ma » Moria (le passage des grottes) et non après, comme la Lorien du SDA. Il aurait été dommage (et interdit par la loi) de faire exactement la même chose. »
Très amusant d’ailleurs, de voir l’auteur se prendre au jeu et « inventer » une correspondance entre Tolkien et sa famille. Des échanges épistolaires qui s’inspire évidemment grandement des nombreuses lettres écrites par Tolkien durant sa vie. Se glisser ainsi « dans » la peau du Professeur, un défi ? « Non, bizarrement, j’étais assez confiant à ce niveau là. Je suis un bon faussaire ! Par contre, le point de départ de l’histoire (Des Elfes, en Birmanie, pendant la Seconde Guerre mondiale) me paraissait nettement plus périlleux à faire avaler au lecteur… ». Difficile à faire avaler... Et pourtant, la mayonnaise n’a pas trop de difficulté à prendre. Le lancement de l’aventure est peut-être un rien laborieux,mais il faut nécessairement planter le décor et jeter les bases des conflits à venir... tout en identifiant les composants de cette « longue marche » où la tension va crescendo. Au point de s’emballer dans une seconde partie qui aurait peut-être subit des coupes ? « Non, il n’y a pas eu de coupes à ce niveau-là. La vérité est que, lorsque je suis arrivé aux grottes, j’avais déjà passé sept ou huit mois à décrire « nos héros qui marchent dans la jungle »… et je n’avais pas envie de passer autant de temps sur « nos héros qui marchent dans les cavernes ». J’aurais pu rajouter des péripéties, of course : les hominidés qui surgissent d’une faille, un tremblement de terre, le gouffre à traverser accroché à une corde, l’air vicié qui empoisonne une partie des survivants, etc, etc… Mais qu’est-ce que ça aurait apporté de plus, au fond ? Plus de pages. Un livre vendu plus cher ? Mais d’un point de vue thématique : rien. Une fois que Tolkien a eu sa révélation (« La vie ne sculpte pas les fictions, c’est tout l’inverse »), je n’ai plus grand-chose à dire. Dans ces cas-là, il vaut mieux tirer sa révérence rapidos, il me semble… ». Des hominidés ? Ah oui, ce n’est pas trop déflorer l’intrigue que d’annoncer que les Japonais ne sont pas les seuls adversaires auxquels les héros du « Commando » auront à se heurter. Mais pour les allergiques aux spoilers, vous pouvez toujours bondir vers la dernière partie de l’interview, où Christophe nous parle d’écriture et non plus de ce roman en particulier. Alors, pour ceux qui restent, ces hominidés ? « C’est une figure imposée du genre : 1/ on affronte les serviteurs du dragon/reine mère/Balrog… 2/ On affronte le « boss de fin de niveau ». Je suis fasciné par cette étape du « ventre de la baleine » aussi appelée « visite chez les morts ». Dans tous mes bouquins, il y a ce passage. C’est parfois très clair : la ville souterraine du DOS AU MUR, les égouts dans ZOULOU KINGDOM, parfois plus métaphorique : le monde underground des activistes (LA LOI DU PLUS BEAU) ou encore la plage d’Omaha Beach (LA BRECHE). J’ai trouvé très éclairantes les réflexions de Jung à ce sujet. Il dit « le héros sauveur apparaît comme fruit de la rentrée de la libido dans la profondeur maternelle de l’inconscient ». Ou encore, combattre la baleine, c’est « libérer la conscience du moi de l’enlacement mortel de l’inconscient ». On peut voir l’exploration de la grotte comme un trip régressif. D’ailleurs mes personnages régressent : ils jouent à la guéguerre comme des gamins, c’est exaltant, et puis quand on s’enfonce dans les cavernes « intra utérines », ça tourne au cauchemar ».
Ecrivain passionné de cinéma et fasciné par la structure des récits, Christophe Lambert soigne autant la forme que le fond de ses romans. Un oeil sur l’histoire, l’autre sur l’efficacité nécessaire au divertissement du lecteur, il n’en oublie pas moins (avec un troisième oeil ?) de soigner ses personnages et de ne pas basculer dans le spectaculaire... pour le simple plaisir de la pyrotechnie. « Je ne voulais pas, avec ce roman, revisiter la guerre du Pacifique à grande échelle. Je voulais garder une atmosphère intimiste, presque introspective. A mesure que les personnages s’enfoncent dans la jungle, élément de plus en plus abstrait, ils se confrontent à leurs démons intérieurs (bon, sans oublier les poursuites, les explosions et les coups de feu ; on ne se refait pas). En écrivant cette singulière odyssée, je pensais plus à Joseph Conrad ou « Apocalypse now » qu’à un récit de guerre « classique ». Pourtant, malgré cette orientation « introspective », la masse d’information accumulée pour écrire ce roman a du déboucher sur un manuscrit bien plus long, non ? Des modifications ou des coupes ont-elles été effectuées par Bénédicte Lombardo, l’éditrice de Christophe Lambert depuis « La Brèche » ? « Bénédicte m’a fait retravailler le personnage de Cealendar, et elle a eu raison. Dans ma version initiale, le demi-elfe était veuf et déprimait parce que confronté au même dilemme que mon homonyme dans HIGHLANDER 1 : « si je retombe amoureux d’une humaine, elle vieillira plus vite que moi et j’assisterai à sa décrépitude puis sa mort, impuissant… ». Ou un truc dans le genre. J’avais ajouté une sous-intrigue amoureuse entre Cealendar et la fille du chef du village indigène. Bénédicte m’a déclaré cash : « Alors ça vraiment, non, c’est pas possible ». Il faut dire que, dans le genre « cliché », j’avais fait assez fort ! Alors nous avons transformé notre demi-elfe mélancolique en alcoolo tiraillé entre ses deux cultures. Et je crois que cela fonctionne beaucoup mieux ainsi ! ».
Difficile de donner tord à la (charmante par ailleurs...) Bénédicte Lombardo ! La littérature de genre avait-elle besoin d’un énième immortel torturé ? Sûrement pas ! Par contre, les éditeurs semblent friands de personnages récurrents et de séries qui s’installent dans le temps. Mais Christophe Lambert préfère lui, explorer d’autres lieux, d’autres gens, d’autres temps. « Mes éditeurs me laissent carte blanche et attendant que je leur propose des choses. Je sais qu’on attend de moi de la SF prospective, aussi bien en adulte qu’en jeunesse, mais pour l’instant je n’ai pas d’idées originales dans ce créneau-là. La vie d’écrivain est répétitive et monotone par essence. J’essaie de varier les thèmes, les époques, les univers à explorer. Cette diversité m’aide à ne pas (trop) me lasser. En même temps, on retrouve toujours les mêmes choses dans mes histoires : des poursuites, des sièges, l’homme ordinaire dans une situation extraordinaire, des chutes dans le vide, l’eau comme un élément plutôt agressif, etc. Nous avons tous un nombre limité de « noyaux durs » autour desquels on ne cesse de graviter… ». Et le fait d’avoir ces « noyaux durs » à portée d’imagination, cela rend l’écriture plus facile ? Ou plus difficile ? « Plus difficile, je dirais. Je suis davantage conscient de mes lacunes. De mes tics aussi. J’essaie de ne pas (trop) me répéter d’un bouquin à l’autre, ce qui n’est guère évident quand on produit beaucoup (et donc, assez vite). Mais j’ai l’impression que mon style s’est amélioré depuis quelques années. C’est déjà ça. »
Critique du "Commando des Immortels"