Une rêve, l'autre pas (L')

Auteur / Scénariste: 
Traducteur: 


Cette novela, qui a remporté Hugo et Nebula dans sa catégorie, a été prolongée par un roman, puis par une trilogie. Je n’en ai lu en VO que le premier tome. Elle porte sur le problème classique de l’acceptation par la masse des humains normaux d’une mutation, ici provoquée volontairement par des biologistes, qui crée un groupe d’humains supérieurs. Le fait d’avoir supprimé la nécessité du sommeil, en assurant que les fonctions d’assimilation, de construction et de réparation qu’assure celui-ci soient prises en charge par le corps en état de veille, aboutit à des humains non seulement plus intelligents, mais aussi immunisés contre maladie et vieillissement. De quoi exacerber méfiance et jalousie chez ceux qui n’ont pas ces avantages. Le titre original, Beggars in Spain, comparait, du point de vue des « Non-Dormeurs », le reste de l’humanité à ces mendiants qui embêtent les touristes, d’abord en réclamant une aumône, puis, quand le touriste excédé refuse, en les attaquant de manière agressive et haineuse. Je ne suis pas sûr que la comparaison soit juste car, dans le cas envisagé, il ne saurait y avoir aumône de la part des mutants, il s’agit plutôt d’une compétition où les surhommes menacent d’écraser leurs adversaires.

En fait ce titre fait plus référence aux problèmes d’origine économique ou philosophique qui s’entremêlent dans la novela, à la philosophie de l’échange équitable qui pose des questions sur les situations où il faut une assistance sans réciprocité, symbolisés par le problème des mendiants du titre ; philosophie développée par un inventeur et penseur, Kenzo Yagai, qui a, d’autre part, résolu les problèmes énergétiques avec une énergie abondante et quasiment gratuite, l’énergie Y. Une part de la novela porte donc sur les discussions de l’héroïne avec des adeptes de Yagai. Mais le titre français s’appuie sur le troisième fil de la novela, malgré tout central : l’héroïne a été dotée de cette modification génétique, mais sa sœur jumelle, dont l’œuf n’a été découvert qu’après le traitement et la réimplantation de l’œuf traité, n’est pas « Non-Dormeuse ». Et, plus que les réactions de la masse des individus, c’est aux réactions de cette sœur que va s’intéresser la novela, et d’abord l’héroïne. Ce fil conducteur est effectivement essentiel dans la novela et le titre français est somme toute aussi valable que le titre original.

Sur l’idée sous-jacente que le sommeil n’est rien de plus qu’un atavisme, je ne me prononcerai pas. Que l’expérience, si elle devait être tentée un jour, puisse donner les résultats merveilleux envisagés, des surhommes immunisés contre la maladie et la vieillesse, est peu probable. Mais, aussi longtemps qu’on se rappelle que le roman présente une hypothèse sans prétendre faire une démonstration et que son déroulement est géré selon les règles de la vraisemblance, pas selon celles de la réalité, le roman est passionnant et agréable à lire.

Toutefois, aux théories de l’échange équitable prônées par Yagai, je préfère celles, voisines, de la théorie des jeux à somme positive, évoquées dans la trilogie de R. Sawyer (Eveil, Veille, Merveille) : elles résolvent plus vite les questions d’échanges asymétriques, et à mon avis, elles permettraient aussi de résoudre plus vite ceux des refus et de la méfiance ou de la jalousie...

Ceci étant, il me reste à relire le roman et à lire les suites, qui devraient traiter de ce problème. Les verra-t-on traduit(e)s en français ?

L’une rêve, l’autre pas de Nancy Kress, traduit par Claire Michel, Actu-SF, collection Perles d’épice, 2012, 12€, ISBN 978-2-917689-42-4

Type: