HUG Nathalie et CAMUT Jérome 02
A l'occasion de ma lecture de Et le Mal viendra, Jérome Camut et Nathalie Hug ont bien voulu se prêter au jeu des petites questions/réponses et je les en remercie infiniment.
1° - Nathalie Hug & Jérôme Camut, en quelques mots, c’est qui ?
Ça dépend de quoi on parle exactement. D’un point de vue organique, c’est environ cent quarante kilos de chair, de sang et de tendons. D’un point de vue juridique, c’est un couple uni par les lois de la République, et d’un point de vue sentimental, c’est deux moitiés d’orange (ou deux âmes sœurs quand on a égaré le presse-agrumes !).
2° - Une écriture à quatre mains… comment se déroule votre approche pour un roman ? Chacun propose une idée ou c’est une décision collégiale ?
Quand un roman n’est pas encore écrit, il est comme un fantasme dans nos esprits, une envie, parfois juste une thématique. Nous écrivons sur les sujets qui nous remuent les tripes, nous indignent ou génèrent une colère dans nos cœurs de citoyens, de parents, d’homme, de femme.
Alors il faut bien commencer, l’un des deux propose une idée, ou même une envie de personnage fort, une originalité. Ou même une singularité, mais ça, c’est les bonnes années. C’est difficile de créer un roman qui ne se soit pas déjà vu cent fois. Difficile, presque impossible tant il y a eu de romans écrits avant les nôtres.
Mais comme nous sommes des têtes de mule, nous nous y essayons, encore et encore.
A partir de cette idée de base, nous discutons, nous ébauchons des univers, dressons des portraits de personnages, inventons des familles en puisant dans la vie qui nous entoure. Ça peut durer longtemps avant que la première ligne soit jetée sur le papier. Et puis un jour, ça part. On dresse le résumé de quelques chapitres et l’un d’entre nous commence à écrire. La suite sera une longue succession d’écritures et de réécritures sur notre texte commun. Chacun se penche sur le texte à tour de rôle, et pendant ce temps, on continue de discuter beaucoup sur la suite, ou sur les modifications qu’il faut apporter à ce qui est déjà écrit. Au final, ça relève de l’alchimie de réussir à deux individualités d’écrire un texte qui sera compris par d’autres individualités dont nous ne savons rien.
3° - Dans Et le Mal viendra, il existe de multiples allers et retours dans le passé pour mieux appréhender le cheminement de Morgan Scali. On a l’impression que l’un d’entre vous s’est occupé du présent et l’autre du passé, pour composer la trame du roman, ce qui donne au final quelque chose de très visuel, presque cinématographique. Est-ce ainsi que vous avez procédé ? Ou chacun a fait la navette entre passé et présent ?
Cf réponse précédente.
Il existe des duos d’auteurs qui travaillent ainsi. Mais pas nous. Et pour tout dire, à notre connaissance, nous sommes peu de duos à mélanger nos écritures.
Et c’est à notre sens l’unique façon de procéder pour obtenir un style unifié sur l’ensemble du roman. En somme, à deux, nous sommes trois auteurs.
4° - L’action « actuelle », on va dire, du roman, se situe en 2028. Cette anticipation n’est pas si lointaine lorsqu’on y songe, était-ce pour justifier la technologie utilisée (l’IA d’Ozalee/ Ozalia), ou pour montrer ce qui peut arriver si nous ne réagissons pas ?
Ni l’un ni l’autre, mon capitaine !
L’intelligence artificielle telle que décrite dans le roman existe déjà. Pour mémoire, nous citerons l’IA qui pilote le système de défense sud-coréen à la frontière entre les deux Corée, ou le bouclier anti-missile israélien.
Et quant à montrer ce qui pourrait arriver si nous ne réagissons pas… Comment dire ça avec un peu de retenue ?
Il se trouve que l’état de la planète terre décrit dans le roman est celui actuel, et il paraît aujourd’hui évident, n’en déplaise à Donald Trump et ses camarades climatosceptiques, que le vivant est menacé dans son ensemble, que la désertification de l’Afrique engendre des mouvements migratoires qui échapperont tôt ou tard à notre contrôle et que les conditions de vie des générations futures seront bien plus dures qu’aujourd’hui.
Quand nous vous disions que nous écrivons sur ce qui nous fout en rogne !
La grande problématique de l’humanité, c’est qu’elle est une somme d’individualités. Chaque acte individuel a des conséquences sur l’ensemble. Ce système n’est pas viable à long terme. Nous devons changer nos modes de vie avant qu’il ne soit trop tard.
Dans le duo CamHug, l’un pense qu’il reste de l’espoir, l’autre non.
5° - Parlons de Morgan Scali. Le personnage est brillant parce que rempli de paradoxes, de faiblesses et de dureté. J’oserais même dire qu’on ressent une sorte de « tendresse » des auteurs pour ce personnage particulièrement réussi, et ce, jusqu’à la dernière scène. On le voit toujours douter, contrairement à certains frères d’armes comme Vertigo, ce qui le rend finalement plus humain et plus ambivalent. Etait-ce une volonté de votre part ?
Dans le roman, Morgan Scali perd sa femme le 13 novembre au Bataclan, et l’humaniste qu’il est à la base va lentement se transformer en terroriste, et non des moindres, parce qu’il ne trouve plus d’autre solution que la violence pour ouvrir grands les yeux à la multitude.
Il se trouve qu’un ami cher a perdu sa femme au Bataclan. Il nous a inspiré Morgan Scali ; un personnage qui s’est bien sûr détaché du réel, mais pour lequel nous avons jusqu’au bout gardé une affection particulière.
Alors, était-ce une volonté délibérée ? Un peu, mais nous écrivons avec nos sentiments. Tout ça est un mélange de beaucoup de choses finalement. Il faut penser au lecteur quand on écrit, il faut échafauder de manière cohérente les personnages, mais ils ont leurs propres incohérences apparentes, comme les gens bien vivants. C’est ce mélange qui fait la magie d’un texte, qui transmet des émotions au lecteur. Ou pas.
6° - Et le Mal viendra est un thriller, avec un côté écologiste et humaniste qui le rend encore plus crédible finalement. J’ai eu par moment l’impression de relire Michael Crichton, auteur que j’affectionne particulièrement, comme dans Etat d’urgence. Avez-vous des inspirations secrètes, des auteurs qui vous parlent plus que d’autres dans leur discours ?
Oui, bien sûr. Nous ne sortons pas de nulle part. Des tas d’auteurs nous ont montré le chemin par l’originalité de leur ton, la construction de leurs histoires, le charisme de leurs personnages. Ils nous ont montré qu’il fallait envisager une écriture libre, lâchée, qu’il fallait oser l’ambition, prendre des risques.
Ça va peut-être vous sembler curieux, mais Arturo Peres Reverte nous chuchote souvent à l’oreille, Stieg Larson aussi, Boris Vian et tant d’autres.
Chacun pour des raisons diverses.
Quant aux discours qui nous inspirent, nous allons plutôt chercher de l’inspiration du côté des philosophes, des scientifiques, des ONG et au sens large des « gens de bonne volonté ».
7° - Même si le roman se clôt de façon logique, pour ma part je trouve sans ambiguïté, on peut se poser la question de savoir ce que deviendront les principaux protagonistes de l’histoire. En écrivant le mot fin, est-ce que dans votre esprit vous les avez accompagnés encore un peu sur le chemin, pour voir ce qu’ils allaient faire ?
Nous avons écrit 14 romans ensemble. Nos personnages continuent de vivre dans nos têtes, et nous allons souvent en récupérer un pour nos écrits suivants. C’est d’ailleurs encore le cas pour le roman sur lequel nous travaillons en ce moment. Il y aura des personnages nouveaux, mais il y aura aussi des personnages de notre série W3, qui sont en lien avec des personnages de Et le mal viendra et Islanova.
Dans la vie, nos familles sont peu nombreuses (la faute aux deux guerres mondiales), c’est peut-être pour cette raison que nous avons une grande famille de personnages qui nous accompagnent au quotidien.
8° - Un petit mot de la fin ?
Un grand mot, peut-être même un gros mot !
Agissons !
N’en déplaise à la moitié CamHug qui pense que l’avenir du monde basculera dans l’horreur, nous voulons voir nos enfants s’engager dans une révolution des mentalités. Il reste de l’espoir, et même s’il n’en reste pas, nous n’avons pas le droit de ne rien faire.
C’est pour cette raison que nous avons écrit Et le mal viendra. Pour contribuer à notre petite échelle à cette prise de conscience.
Espérons qu’il en ressortira quelque chose.
Merci beaucoup d’avoir accepté de jouer le jeu !