Ianos, singularité nue

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Voici un roman dont j'attendais beaucoup, et je suis d'autant plus déçu que les idées intéressantes, mais exploitées avec les défauts presque archétypaux d'un premier roman insuffisamment édité, fourmillent. Je me souviens de Damon Knight qualifiant les Armureries d'Isher, de AEVV, de « gâchis cosmique » ; ce roman m'y a fait penser, d'autant plus que les « Autres », les intelligences supérieures qui regardaient en retrait chez Van Vogt, sont ici partie prenante de l'histoire.

Au nombre des défauts qu'on peut associer au manque d'habitude de la publication, il y a ce fourmillement d'idées plus ou moins nouvelles et le fait d'avoir, suivant une recette trop systémique, voulu mêler plusieurs intrigues plus ou moins entrelacées. À l'histoire de base qui est l'apparition de cette Singularité (attention, piège : ce n'est pas la Singularité de Vinge, le dépassement de l'intelligence humaine par les intelligences artificielles qui est ici en cause, même si elle sera rapidement évoquée dans un paragraphe, c'est la singularité des astrophysiciens, plus communément appelée « trou noir ») et ses conséquences, en particulier l'étude lancée par le commandement spatial qui a remplacé la NASA et la vie ultérieure de Sanjay, astronaute qui a dirigé la mission d'étude, est mixée l'histoire de Joshua, leader d'une secte religieuse que cette Singularité fera sombrer dans la folie. Mais cette histoire parallèle, dont l'interférence avec l'histoire principale est heureusement assez anecdotique, est d'autant moins utile au roman, si ce n'est pour l'alourdir et en augmenter le volume, qu'elle ressemble un peu à l'histoire du Thinking proposée par Raphaël Granier de Cassagnac. Et il est plus que probable que, travaillant probablement ensemble, nos deux auteurs ont largement discuté et confronté leurs romans respectifs. Olivier Bérenval a, certainement, voulu faire autre chose, adopter un autre point de vue ; le Kairos, dont hélas les thèses ne sont pas même esquissées de manière visible dans le roman, n'est pas le Thinking, mais une description plus approfondie aurait demandé un autre roman.

Toujours parmi les défauts alors même que cela aurait dû être une qualité du roman, la volonté de l'auteur de répéter et préciser avec soin les bases et notions de physique et d'astrophysique donne des passages que n'apprécieront que les lecteurs déjà au courant des thèmes et désireux de précisions techniques ou scientifiques.

Dans les méthodes d'écriture abusivement employées de manière systématique du fait d'une mode, il y a le fait d'entremêler non seulement plusieurs intrigues, mais aussi plusieurs temporalités (non-présentation des chapitres dans l'ordre chronologique). Ce procédé demande une maîtrise que ne possède pas encore l'auteur, et de ce fait il aboutit, d'abord, à égarer le lecteur.

 

Quant au «retournement » final, il me laisse profondément déçu, car il remet en cause tout le roman. Oblige à une relecture dans laquelle on se demande à quoi servent certains épisodes, en particulier l'histoire parasite de Joshua, mais aussi les épisodes politiques. C'est, là encore, un « truc » d'écriture qui demande une certaine pratique et une motivation que je n'ai pas perçue.

 

Je suis d'une sévérité excessive, bien sûr, et je m'octroie un rôle de critique péremptoire et didactique bien au-delà de mes capacités de lecteur amateur à la compétence limitée ; mais ma déception est conséquence de la quantité d'espoirs PRESQUE satisfaits. Et ce mot est à mes yeux au cœur de ma réaction. Contrairement au proverbe, je ne crois pas que « a miss is as good as a mile », je le trouve bien pire. Bien plus dérangeant. Il oblige à imaginer le roman parfait qui a PRESQUE été écrit ; un roman dans lequel, à mon avis, Joshua, le Kairos et les personnages associés, n'avaient pas place (ou auraient dû faire l'objet d'un roman séparé, associé). Une fin plus ouverte aurait, au moins, légitimé cette attitude de lecteur.

 

Ianos, singularité nue, d’Olivier Bérenval, Mnémos

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